Quand une image en invite une autre

Retour au numéro: Spirale 30 ans!

Constituer le portfolio d’un magazine culturel qui célèbre ses trente ans  ! Voilà un exercice qui aurait pu conduire à un regard rétrospectif sur la production artistique des dernières décennies ou être l’occasion de traiter d’une thématique particulière. Il aurait pu s’agir encore de revisiter les parutions antérieures de Spirale pour en repérer les œuvres visuelles marquantes et les reproduire à nouveau, tout simplement : une œuvre par numéro, par année, ou par artiste, peu importe. Une façon comme une autre de faire un bilan, de profiler la silhouette d’une époque du point de vue des arts visuels et des intérêts qui les ont définis au sein d’une revue de littérature et d’idées.

Or, aucune de ces avenues n’a été privilégiée. En formant une petite équipe de travail composée de cinq historiennes de l’art et muséologues très impliquées dans la scène artistique actuelle — sans compter que quatre d’entre elles sont justement au tournant de la trentaine, tandis que la cinquième leur a enseigné  ! —, nous avions très envie de trouver l’astuce qui nous permettrait d’échafauder ce portfolio à l’écart de critères restrictifs, de méthodes strictes, d’inutiles contraintes visant une objectivité pour le moins illusoire et une exhaustivité impossible à atteindre. Objectives et exhaustives, nous ne l’avons donc pas été, du moins pas dans l’absolu, notre souci de rigueur s’étant manifesté autrement. Nous avons plutôt imaginé un mode de composition qui s’apparente au procédé du cadavre exquis, jeu aussi ouvert qu’exigeant. Cela nous a permis d’élaborer une longue phrase visuelle qui traverse ce numéro anniversaire et dans le cadre de laquelle une œuvre en appelle une autre, des relais se formant entre leurs composantes formelles ou sémantiques. Ainsi, ce qui était de l’ordre du défi est devenu une activité ludique et expérimentale qui a réclamé plusieurs heures de discussion et d’échanges mais qui nous a donné l’opportunité de faire naître des rapports étonnants entre des images a priori sans parentés évidentes.

En vue de constituer une sélection reflétant le dynamisme des pratiques artistiques actuelles, nous avons parcouru une abondante documentation d’œuvres réalisées par des artistes québécois et canadiens au cours des toutes dernières années. Nous avons repéré des images qui ont mobilisé unanimement notre attention pour des considérations aussi variées que subjectives, images réalisées en quasi-totalité par des artistes de début ou de milieu de carrière. Dans notre manière de choisir et d’ordonnancer ces œuvres, nous avons fait en sorte que chaque image entretienne un lien avec celle qui l’annonce et celle qui la prolonge, créant un enchaînement dont la logique se dévoile au fil de ces pages.

De ce fait, le lecteur traversera, d’un couvert et d’une page à l’autre, une image à la fois, plus d’une quarantaine d’univers visuels d’abord identifiés en fonction de leur pertinence artistique mais sélectionnés surtout en regard des connivences formelles, poétiques, plastiques ou encore conceptuelles qu’elles ont livrées dans le cadre de ce jeu. Non seulement le contenu d’une telle variété d’œuvres ouvre-t-il sur des dimensions littéraires, politiques, sociales et psychologiques nombreuses, mais il a pour vertu de ne pas se limiter aux seules relations que nous y avons vues. Le lecteur de ces pages s’amusera sans doute à les repérer mais il saura aussi y projeter les siennes propres ; il pourra tout autant ne pas déceler celles que nous avons avancées, ne pas en suivre nécessairement l’enchaînement, ne pas prendre part au jeu. Pourquoi pas ?

Finalement, cette phrase visuelle n’illustre évidemment pas une histoire en soi bien qu’elle soit travaillée par l’histoire de l’art actuel en train de se constituer et à laquelle participent des artistes, des commissaires d’exposition, des essayistes, des critiques d’art, des professeurs et des étudiants dont plusieurs ont été, sont ou seront des contributeurs de Spirale. Elle ne raconte rien de particulier, ne prétend rien dans l’absolu, mais elle est quand même conçue pour se prolonger dans le temps, car les auteurs de ces œuvres demeureront, de cela nous sommes convaincues, au nombre des artistes importants des trente prochaines années. Nous savons que davantage d’artistes auraient pu prendre part à cette séquence, mais leurs réalisations n’ont cependant pas trouvé d’ancrage dans ce jeu de conversation visuelle. Une conversation qui se voulait aussi une exposition, les images de ces œuvres se trouvant dressées sur les pages de ce numéro spécial comme s’il s’agissait d’un parcours où tourner les pages revient à se diriger vers d’autres murs. Alors, que la visite commence !