Nathalie Bujold : Chiasme iconoclaste

<p style="font-family: 'Trebuchet MS', Geneva, Arial, Helvetica, SunSans-Regular, sans-serif; font-size: 12px; line-height: 16px;">&rsquo;une part, il y a le petit point, la courtepointe, les canevas ouvrés, les broderies, les références à l&rsquo;art populaire et à ses matériaux séculaires (notamment la laine), aux thèmes et aux motifs à l&rsquo;avenant (le bâton de hockey enrobé d&rsquo;un bas de laine, les chemises à carreaux des bûcherons). D&rsquo;autre part, on retrouve l&rsquo;image photographique, la bande vidéographique, la vidéoprojection, la référence au numérique, à la construction de l&rsquo;image par pixels. C&rsquo;est d&rsquo;une oscillation constante entre sublimation du banal et banalisation du sublime que résulte le travail de Nathalie Bujold.</p><p style="font-family: 'Trebuchet MS', Geneva, Arial, Helvetica, SunSans-Regular, sans-serif; font-size: 12px; line-height: 16px;">Mais les images photographiques n&rsquo;en sont pas vraiment : elles apparaissent sur des broderies où elles ont été recomposées. D&rsquo;autres photos brochées les unes aux autres composent des<i>flipbooks,&nbsp;</i>ces petits carnets formés d&rsquo;images multiples ; carnets qui, feuilletés à vive allure, construisent une sorte d&rsquo;animation cinématographique grossière. Cela va même plus loin quand certains sont ainsi faits que ne se montre, sur leur page couverture, qu&rsquo;un camaïeu de petits carreaux aux couleurs assez voisines. On croit être derrière une sorte de vitrail laissant filtrer une image déformée. Mais anime-t-on ce carnet pour en actionner l&rsquo;image que ces carreaux changent de dimension. Leur taille augmentant insensiblement d&rsquo;une image à l&rsquo;autre, ils en viennent enfin à former une image dont ils représentaient finalement la trame numérique.</p><p style="font-family: 'Trebuchet MS', Geneva, Arial, Helvetica, SunSans-Regular, sans-serif; font-size: 12px; line-height: 16px;">Les médias sont donc sans cesse subvertis dans ces œuvres. Ils se donnent pour ce qu&rsquo;ils ne sont pas, feignent d&rsquo;investir une image avec leur spécificité propre, les conditions de possibilités qui sont les leurs. Puis ils s&rsquo;abandonnent à une hybridité contaminante, gagnés à des formes et matières qui ne leur sont pas étrangères.</p><p style="font-family: 'Trebuchet MS', Geneva, Arial, Helvetica, SunSans-Regular, sans-serif; font-size: 12px; line-height: 16px;">Mais ce ne sont là que quelques objets, instructifs certes, révélateurs de l&rsquo;esthétique particulière de Nathalie Bujold. Il faut se livrer à une description méthodique de l&rsquo;ensemble de l&rsquo;installation pour en avoir une idée plus complète. La série<i>Pixels et petits points,&nbsp;</i>qui fit l&rsquo;objet d&rsquo;une exposition au printemps 2004, en offre une représentation assez idéale. Ce qui se présente d&rsquo;abord à nous, c&rsquo;est une série de portraits faits sur des broderies au petit point et, surtout, réalisés à partir de vidéogrammes. Ces petites pièces d&rsquo;à peine 20 cm apparaissent sous la forme de&nbsp;<i>tondos</i><span style="font-size: smaller; text-transform: lowercase; vertical-align: 4px;">1</span>. Les images sont en noir et blanc, couleurs traditionnellement associées à une photographie conventionnelle, un rien austère. Le fait qu&rsquo;elles soient brodées, donc composées de pièces carrelées de tissu, les rend floues, embrouillées. L&rsquo;effet final les rapproche donc, en quelque sorte, d&rsquo;images argentiques conventionnelles. Mais cette reproduction en carré, à cause du transfert médiatique, évoque plutôt la reproduction numérique. La référence devient d&rsquo;ailleurs claire plus loin, lorsqu&rsquo;une pièce brodée montre une mire de couleurs&nbsp;<i>(color bar)&nbsp;</i>telle que nous la présente un téléviseur, une fois la programmation de la journée terminée. Une image de charte RVB composant couleurs primaires et secondaires, en trois sphères en intersection, est également assez suggestive. Ou encore cette autre charte des couleurs qui semble tout droit issue des outils d&rsquo;altération des images d&rsquo;un logiciel du type&nbsp;<i>Photoshop.</i></p><p style="font-family: 'Trebuchet MS', Geneva, Arial, Helvetica, SunSans-Regular, sans-serif; font-size: 12px; line-height: 16px;"><span class="sous-titre" style="font-size: 16px; font-family: 'Arial Black', Impact, Arial, Helvetica, sans-serif; line-height: 18px;">Une image trépidante</span></p><p style="font-family: 'Trebuchet MS', Geneva, Arial, Helvetica, SunSans-Regular, sans-serif; font-size: 12px; line-height: 16px;">Les&nbsp;<i>flipbooks</i>&nbsp;dont on a parlé plus haut sont fixés au mur à l&rsquo;aide d&rsquo;une longue corde. Ils pendent donc, à quelque 30 cm du sol, accrochés à leur laisse, au bout de celle-ci, attachés à la hauteur des yeux. Sur le mur adjacent, de petites fenêtres ont été ouvertes. Derrière chacune, l&rsquo;écran d&rsquo;un moniteur vidéo montre des images. L&rsquo;écran de gauche laisse voir des paysages ; celui du centre, des portraits déjà vus en broderies, et le dernier, à droite, montre des natures mortes. Des portraits, on retiendra leur exacte similarité avec ceux des broderies, à ceci près que la plus grande netteté des images permet de voir des détails ignorés jusqu&rsquo;à maintenant. Ce que l&rsquo;on croyait être un foulard s&rsquo;avère être un chien&nbsp;<i>(portrait de G.).&nbsp;</i>La posture d&rsquo;Alain s&rsquo;explique par le fait qu&rsquo;il fume. Les yeux baissés d&rsquo;Annick s&rsquo;attardent en fait sur un enfant dont on voit apparaître la petite main à la toute fin de cette section de la bande. Les paysages se caractérisent surtout par de longs travellings au mouvement parfois saccadé. On constate qu&rsquo;il y a un traitement commun dans l&rsquo;écran des paysages comme dans celui des natures mortes : une sorte de trépidation de l&rsquo;image. Dans le cas des paysages, cela semble d&rsquo;abord une sorte de travelling<i>&nbsp;</i>extrêmement rapide. Dans l&rsquo;autre cas, l&rsquo;effet est de même facture avec un gros plan sur le motif d&rsquo;un tissu, bientôt suivi de plans sur les couleurs vives de courtepointes. Qu&rsquo;on s&rsquo;y arrête plus longuement et l&rsquo;on ne tarde pas à réviser notre position. Ce ne sont pas là des mouvements de caméra mais bien des prises extrêmement courtes qui se succèdent avec rapidité et créent cet effet convulsif. Sur un tissu réel ou sur celui d&rsquo;un paysage pierreux, l&rsquo;image globale, animée, se fonde en myriades de plans carrés, de petites fenêtres très brièvement ouvertes sur le visible. Ce<i>patchwork</i>&nbsp;d&rsquo;images, ce carrelage forcé est évidemment un rappel des carreaux brodés, du rapiéçage, de ces raccords (image et couture) entre pièces dépareillées. Cet effet de marqueterie est au centre de l&rsquo;esthétisme de Nathalie Bujold, on l&rsquo;aura déjà compris. Tout se passe dans ce travail comme s&rsquo;il y avait une volonté de focalisation du Grand Tout du monde, abordé d&rsquo;emblée comme incernable, en pièces de marqueterie. On est dans le même esprit avec la tapisserie inspirée d&rsquo;Eadweard Muybridge. Alors que celui-ci concevait plusieurs images photographiques décomposant un mouvement, Nathalie Bujold, utilisant cette fois une caméra en mouvement, concentre plutôt un moment d&rsquo;une durée de 7 secondes en le déclinant en plusieurs images étirées à la verticale jusqu&rsquo;à la distorsion la plus complète. La mosaïque devient ici un ajout de lisières nombreuses qui forment un polyptyque tombant de haut en bas.</p><p style="font-family: 'Trebuchet MS', Geneva, Arial, Helvetica, SunSans-Regular, sans-serif; font-size: 12px; line-height: 16px;">Cette approche artistique fondée sur l&rsquo;artisanat, l&rsquo;intérêt pour des formes esthétiques dites &laquo; mineures &raquo;, folkloriques, aborde la réalité du monde dans ses accès les moins spectaculaires. L&rsquo;artiste, telle une styliste de l&rsquo;iconoplastie, la cerne dans la banalité de son quotidien, dans des formes de création qu&rsquo;on a coutume de comprendre le plus souvent comme des activités de loisirs, un&nbsp;<i>divertimento.&nbsp;</i>Il en va un peu de ces travaux comme si les raccords et relances entre les uns et les autres de ces médiums formaient un réseau finalement assez complexe qui nous offre le monde dans sa trame plutôt que dans sa totalité. Mais dans les références, les médiums sollicités, c&rsquo;est une approche à petites touches qui se fait, retotalisant le monde sur un mode mineur, inoffensif. Un monde reconstitué de bric et de broc, tenant tout entier dans une courtepointe filée de monceaux de temps reconquis par la vidéo, la photo ; d&rsquo;espaces revisités par les étendues tissulaires et redonnés, par métonymie, dans un carré de tissu.</p><p class="note" style="font-size: 10px; font-family: Arial, Geneva, Verdana, sans-serif; line-height: 13px; ">1.&nbsp; Le&nbsp;<i>tondo</i>&nbsp;est un format de peinture : il n&rsquo;est pas réalisé traditionnellement dans un cadre, mais à l&rsquo;intérieur d&rsquo;un disque. Ce sont les peintres italiens qui l&rsquo;introduisirent, en reprenant notamment l&rsquo;<i>imago clipeata&nbsp;</i>romaine.</p>