Pour accompagner ce dossier qui interroge les objets à la limite du poétique, quoi de plus approprié que ce portfolio d’œuvres à la limite de l’artistique ? Marc-Antoine K. Phaneuf collectionne depuis plus de sept ans des petites annonces qu’on peut trouver dans les lieux publics, sur les tableaux d’affichage, sur les poteaux de téléphone, etc. Résolument ancrée dans la tradition du ready-made, cette collection d’affichettes lorgne autant du côté de l’art brut, par l’évidente étrangeté du contenu qui joue une bonne part dans la sélection qu’opère Phaneuf dans sa collecte, que du côté du potentiel canular institutionnel. On ne se sent jamais tout à fait à l’aise devant cette démarche, car l’ironie dont use Phaneuf joue ici le rôle d’un écran faisant en sorte qu’il est impossible de déceler parfaitement ses véritables intentions. La présentation de ces maladresses syntaxiques et grammaticales cherche-t-elle à provoquer le rire ou à rire de ceux qui seraient tentés de la prendre au sérieux ? Ou peut-on trouver touchantes ces prises de parole naïves mais tout de même déterminées à s’exprimer publiquement ? Sont-elles, finalement, dénuées ou non de poésie ? Étrange…
L’exposition Les petites annonces – objets poétiques & design vernaculaire de Marc-Antoine K. Phaneuf aura lieu du 8 janvier au 14 février 2009, au Centre d’art et de diffusion Clark, 5455 Avenue de Gaspé, local 114, Montréal.
Spirale : Pour ce projet, ton activité en tant qu’artiste s’est surtout concentrée sur l’acte de collecte des petites annonces. Qu’est-ce qui détermine leur choix ? Accordes-tu plus d’importance au message qu’aux aspects matériels et formels des objets trouvés ?
MAKP : À la base, je cherche des fictions, construites à la fois par le message et la matérialité d’une annonce. J’ai décroché la toute première au marché Métro de Gaspé, à l’été 2001, alors que j’étais en vacances en Gaspésie. C’était une feuille 8,5 x 11, manuscrite à l’encre bleue, où un homme clamait sa recherche d’une femme (Pour toute ma vie ; voir le portfolio de ce numéro). La mise en page était bancale à cause de son déséquilibre graphique ; le texte était truffé de fautes d’orthographe, mais une lecture à double sens (comprenant soit la réalité du message, soit un récit improbable modelé par les verbes mal accordés) révélait une certaine poésie. En somme, ce document trouvé dans l’entrée d’une épicerie était empreint de fiction : la nature du message et les informations présentes sur l’annonce (l’auteur y donnait son adresse civique, son numéro de téléphone et sa date de naissance) me mettaient sous les yeux un document se référant à une histoire réelle qui se passait quelque part et qui reflétait la perception, la créativité, la pensée, mais aussi la naïveté, d’un individu. C’est ce regard amusé sur la manière dont quelqu’un se présente qui m’a le plus intéressé.
Mais cette dimension fictionnelle n’est pas légion dans les petites annonces. Bien souvent, le message se contente de vendre un produit et ce sont alors les fautes d’écriture et la matérialité du texte qui attirent mon attention. Les fautes d’écriture mènent à l’humour, parce qu’elles contribuent à créer une fiction autour d’une personne inconnue. Un artiste qui cherche un atelier dans un immeuble avec « mont de charge » doit avoir une drôle d’idée des procédés d’élévation.
L’aspect matériel n’est pas à négliger, car chaque petite annonce de la collection a une matérialité qui lui est propre. Il y a une multitude de matériaux et les mises en page sont souvent mal conçues. Maladroites et brouillonnes, certaines petites annonces semblent refléter une pensée insaisissable, trop complexe pour être énoncée clairement, bref, une pensée en ébullition. Les matériaux, dont la charge sémiologique insérée par l’auteur est préméditée ou inconsciente, nous en apprennent aussi sur la conception que ce dernier peut avoir de l’autoreprésentation. Bricolées, les annonces des tableaux d’affichage sont parfois des pièces uniques, au même titre que l’archétype de l’œuvre d’art. Je n’ai d’ailleurs jamais pensé les photographier ; c’est l’objet matériel qui m’intéresse. Je perçois souvent ces annonces comme des dessins littéraires. L’aspect visuel et matériel amène davantage d’éléments sur lesquels la fiction se fonde, celle-ci devenant du coup plus étoffée. Et dans tous les cas, c’est un plaisir — et parfois même un défi, sous les yeux d’un commerçant— de voler ce genre de documents anodins dont la propriété est entourée de flou : appartiennent-ils à celui qui a affiché l’annonce, au propriétaire du tableau d’affichage ou relèvent-ils du domaine public ?
Spirale : Dans le sous-titre du projet, tu parles d’« objets poétiques ». Le « poétique » est différent à bien des égards de la « poésie ». Il est plus fuyant, inductif plutôt que déductif et, par là, sujet à l’interprétation et à la polémique. Par leur facture, ces petites annonces touchent aux limites de l’artistique, mais en leur joignant l’attribut « poétique », il m’apparaît que la provocation est plus frontale dans son questionnement des limites propres aux genres littéraires. Qu’est-ce alors que le poétique pour toi ?
MAKP : J’utilise le mot « poétique » dans le sous-titre parce que je veux que les spectateurs voient ces pièces comme des objets qui peuvent s’ouvrir sur des univers personnels, comme des traces réelles de fictions prosaïques, des pièces à conviction subjectives. Pour moi, le poétique est un jeu sur la langue et sur l’image. Littérairement, c’est une manière de produire du texte ou de la parole en utilisant la richesse de mots précis mais en restreignant l’information donnée au lecteur/spectateur afin de lui permettre d’imaginer la plupart des détails d’une assertion, même si elle est concise. Le poétique consiste à évoquer, en laissant place au non-dit et à l’interprétation. Dans cette perspective, l’auteur cède une partie de la compréhension de l’œuvre (construction du sens) au lecteur. En collectionnant les petites annonces, je deviens un lecteur actif. En les montrant dans une salle d’exposition, j’invite le spectateur à devenir actif, à faire des liens, à voir la fiction probable d’un document original.
Par « objet poétique », j’entends également que l’objet existe dans cette matérialité précise qui est la sienne. Le mode de présentation (matériaux, mise en page, texte) donne le ton au message et contribue à sa perception. C’est la vieille formule de MacLuhan, cette fois appliquée à la publicité amateur. Même lorsqu’une petite annonce est rédigée sur l’ordinateur et imprimée, elle recèle des détails permettant d’imaginer des extraits de la vie de son auteur.