Retour au numéro: Nouveaux enjeux de l'édition
À la mémoire de François-Xavier Marange
Peut-être retrouve-t-on dans l’informel moderne ce goût de s’installer « entre deux arts », entre peinture et sculpture, entre sculpture et architecture, pour atteindre à une unité des arts comme « performance », et prendre le spectateur dans cette performance même […]. Plier-déplier, envelopper-développer sont les constances de cette opération, aujourd’hui comme dans le baroque.
— Gilles Deleuze, Le pli – Leibniz et le baroque.
On ne pourrait mieux définir le travail de François Vincent que par cette citation de Gilles Deleuze. La démarche de ce peintre qui s’assume pleinement se situe « entre deux arts ». Vincent rend la troisième dimension d’une manière sculpturale, architecturée et scénographiée, à travers divers « objets » ou formes, dont certains sont difficilement identifiables au premier coup d’œil, d’autres par des drapés qui nous réfèrent à des pendrions de théâtre, aux « plis » de marbre sculptés du Bernin (1598-1680) ou encore aux somptueux drapés de vêtements et de tentures rendus par des peintres de la période baroque. La notion de « performance » est également opératoire dans les tableaux de Vincent, puisque avec ses jeux d’ombre et de lumière il nous rappelle les éclairages fabriqués d’une représentation théâtrale. Convoquant Deleuze, à nouveau, et en le paraphrasant très librement, on pourrait avancer que les œuvres de Vincent nous laissent entrevoir l’embrasure d’un mouvement de l’âme, par laquelle le spectateur peut saisir, ne serait-ce que furtivement, le battement vibratoire nous invitant à pénétrer dans cet univers énigmatique.
Petit manifeste d’une agnostique des médiums
L’un des aspects les plus jubilatoires, dans la constitution des portfolios d’artistes, est d’échanger avec eux sur leur vision de l’art et de la vie en général. Si la philosophie est ce qui nous aide à vivre, l’art est une philosophie de la vie qui nous accompagne pour mieux sentir et voir les choses à travers la lentille d’un œil intérieur. Ce regard nous offre les moyens d’augmenter notre acuité et notre sensibilité au monde extérieur, les arts visuels se déployant essentiellement dans la sphère du visible. Pour écrire sur l’art, il est important d’adopter une posture d’« agnostique des médiums en arts visuels », selon l’expression de Steve Dietz, commissaire américain en arts médiatiques et numériques, posture qui ne favorise aucune discipline en particulier, justement parce que la propriété multivalente et polysémique de l’art est ce qui nous permet d’appréhender le monde, avec un regard aiguisé qui nous permet de transcender le quotidien. Dans l’histoire de l’art récente, plusieurs artistes et commentateurs ont affirmé périodiquement que la peinture était morte et que l’on devait faire place à des disciplines plus « innovantes »,
en meilleure adéquation avec notre temps.