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On l’aura compris, le rectangle bleu acier de la page couverture n’est pas dû à une erreur d’impression, ni l’absence d’images dans le dossier La guerre du mondeau défaut d’un portfolio pertinent. Ces entorses à la maquette de Spirale attestent que l’onde de choc de la guerre contre l’Irak, pendant laquelle ce numéro a été en bonne partie produit, nous a atteints. Il nous a semblé que la situation commandait, à cause de sa valeur symbolique, ce geste de soustraction au bombardement médiatique des images. Ainsi, entre les plages gris-noir qui les encadrent et les isolent, les textes du dossier se tassent, se pressent et se bouleversent comme en notre esprit les émotions et les questions.
Dans le constat du numéro précédent, Thierry Hentsch se demandait « si la “guerre” contre l’Irak aura été effectivement déclenchée [et] quelle ampleur elle aura prise au moment où ces lignes paraîtront. » Au moment où celles-ci sont écrites, elle a bel et bien eu lieu : ce 9 avril, Bagdad est tombée et la statue de Sadam Hussein a été déboulonnée, en direct. Nous ne sommes guère plus convaincus cependant de ce qui la justifiait. Inévitable ? Inévitée. Toujours là. Nous sommes dans l’après sans y être tout à fait.
Comment la penser en dehors de cette « sorte de guerre générale permanente » dans laquelle le monde est entré depuis la chute du Mur de Berlin ? C’est ce que suggère le titre du dossier, La guerre du monde,préparé par Thierry Hentsch et Catherine Mavrikakis qui proposent que les « guerres entre pays, entre nations, ou [...] dites “internes”, tous ces affrontements plus ou moins sanglants ont pour enjeu, chacun à son échelle, le devenir global de l’humanité ».D’où leur hypothèse : « Il semble que l’humanité soit parvenue à une sorte de ligne de crête à partir de laquelle elle peut basculer vers une sorte de guerre civile sans fin contre elle-même [...] ou, [...] vers des conflits productifs, capables à long terme de remodeler les rapports planétaires en fonction d’un bien commun. [...] Voilà pourquoi il semble opportun aujourd’hui de penser la guerre dans toutes ses dimensions, dans tous ses aspects, plutôt que de s’imaginer combattre le spectre du terrorisme et vouloir plier l’autre à notre idéologie, à nos intérêts. [...] ». Profondément ancré dans l’actualité, le dossier est un lieu de délibération qui s’ouvre à la diversité des espaces et des temporalités, des paroles, des expériences et des situations : de Tolstoï à Khadra et à Enloe, en passant par Derrida, Ionesco, Gagnon, Saulnier, Grass, Bergounioux...
Il revenait à Madeleine Gagnon, dont l’ouvrage Les femmes et la guerre est recensé dans le dossier, de signer le constat. Son exploration des « territoires dévastés de la terreur et de la mort en acte » à travers les mots des femmes la conduit à débusquer en nous la guerre comme « la mort dans le désir ».
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Félicitations à Thierry Hentsch qui vient de recevoir, pour son livre Raconter et mourir (PUM, 2002), le prix Louis-Pauwels 2002 récompensant un essai« enrichissant la réflexion sur la société, la pensée ou la science contemporaine ».
<$h88>Rappelons le titre des trois prochains dossiers :L’intellectuel dans l’espace public (juillet-août 2003 ; responsables : Catherine Mavrikakis et Thierry Hentsch) ; Le conte (septembre-octobre 2003, Patrick Poirier) et La frontière. Récits de l’entre-deux(novembre-décembre 2003, Emmanuelle Tremblay).
La date et le lieu du lancement de ce numéro seront annoncés ultérieurement, entre autres sur notre site (www.spiralemagazine.com) que nous vous invitons à visiter en attendant ce rendez-vous.