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C’est avec le plus grand plaisir que le comité de rédaction du magazine, le 22 janvier dernier, a remis le prix Spirale Eva-Le-Grand à Terry Cochran pour son essai à la fois exigeant — et à certains égards bouleversant —, De Samson à Mohammed Atta. Foi, savoir et sacrifice humain (Fides). En remettant son prix à l’essayiste, Spirale a voulu reconnaître et saluer une « pensée libre, non domestiquée quoique savante, à la fois informée et prenant le risque de l’informe », comme le soulignait avec à propos notre collaboratrice Frédérique Bernier (no 223, novembre-décembre 2008). Le lauréat, que nous félicitons derechef, s’est vu remettre une œuvre de l’artiste Louis Fortier, dont nous présentions un portfolio dans notre numéro de juillet-août 2008 (no 221). Par ce prix, Spirale tient chaque année à souligner la contribution d’un ouvrage de réflexion sur des enjeux qui concernent aussi bien la culture actuelle que sa mémoire, et qui sont pertinents au travail de recension et de critique accompli par la revue elle-même. Aux yeux du comité de rédaction, il ne fait aucun doute qu’un essai comme celui de Terry Cochran — qui rappelle que le terrorisme est un phénomène global qui ne se limite pas à ceux que l’on désigne comme terroristes, mais qui englobe ceux-là mêmes qui prétendent s’y opposer et le combattre — mérite toute notre reconnaissance, et davantage encore.
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De même, et au risque de témoigner par là de quelques vieux réflexes coloniaux, on serait tenté de formuler en termes de « reconnaissance » notre rapport à la culture inuit, qui fait l’objet d’un dossier dans le présent numéro. La question, d’ailleurs, se pose d’emblée : comment dire la culture inuit, comment en parler ? Et comment en parler de « manière critique », puisque c’est ainsi que se pose également la question pour un magazine comme Spirale ? Ne faudrait-il pas plutôt dire que la culture inuit, aujourd’hui, mérite davantage que notre seule reconnaissance, mais qu’il y aurait malgré tout, dans ce que peut donner à penser la reconnaissance « de l’autre », voire le « reconnaître », toute l’immensité de ce qu’il nous faut justement chercher à saisir par la pensée, ce qu’il faut « explorer » dans un mouvement qui, pour nous, relève à la fois de la découverte (connaître) et de la redécouverte (connaître à nouveau), de l’apprentissage et du souvenir ? Il est certain que le dossier que présente Nelly Duvicq en ces pages, « Phénomènes contemporains de la culture inuit », échappe et se tient loin des dérives de l’« exotisme ethnographique »; mais s’il s’applique à déconstruire certaines idées préconçues et à présenter un état des lieux (nécessairement incomplet) de la vie culturelle inuit contemporaine, sa visée n’est pas immédiatement « critique ». Considérant à la fois les nombreux projets visant à protéger une pratique orale menacée et le « bouillonnement » dont témoignent les cultures circumpolaires depuis les dix dernières années, il importait sans doute davantage de mettre en valeur, « sans les opposer », précise Nelly Duvicq, d’une part, la « préservation du patrimoine culturel véhiculé et transmis par les aînés » et, d’autre part, « la reconnaissance de la vitalité des nouvelles productions artistiques » qui font volontiers usage des nouveaux médias. Ce qui, dès lors, ressortira peut-être de ce dossier, c’est la reconnaissance que les Inuit, loin de tourner le dos à leur tradition ancestrale, s’approprient de « nouveaux vecteurs pour construire, déterminer et transmettre leur identité », comme le suggère ici Nelly Duvicq.
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Nos lecteurs savent que les portfolios des artistes que nous publions dans chaque numéro ne servent d’aucune manière à « illustrer » les articles de nos collaborateurs. S’il doit y avoir dialogue entre le texte et l’image, ce n’est donc pas sous le mode de l’illustration, mais bien en tant que langage autonome. Cela étant, il arrive parfois que les correspondances entre un portfolio et un dossier ne soient pas le fruit du hasard. On comprendra, à la lecture du texte de présentation de François Dion, que les œuvres de l’artiste inuit Nick Sikkuark, en réunissant « diverses composantes traditionnelles à sa culture et à une expérience de la culture dominante nord-américaine », témoignent éloquemment de la « culture inuit actuelle », si elles ne sont pas même, « sise[s] entre tradition et modernité », des manifestations singulières de ce que Nelly Duvicq qualifie en ces pages d’hybridité identitaire.
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On découvrira également avec beaucoup d’intérêt le travail de Stéphane Gilot, dont Louise Provencher signe ici la présentation du portfolio que nous avons la chance de pouvoir publier. Reconnu pour ses œuvres in situ, le projet artistique de Gilot table sur l’« “élargissement” réciproque des notions de jeu et d’œuvre d’art », notamment par « l’apport fertile d’une problématisation de ce que l’on entend par “réalité” par l’entremise de la fiction », comme le précise Louise Provencher.
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Le dossier du prochain numéro (mai-juin 2009) sera intitulé Que faire ? La déconstruction et le politique (sous la direction de Nicolas Lévesque et Patrick Poirier) ; suivra ensuite Rayonnement du cirque québécois (juillet-août 2009 ; sous la direction de Sylvain Lavoie). Dès septembre, le magazine célébrera son 30e anniversaire avec un numéro spécial intitulé « Critiques intempestives : les œuvres d’avenir des trente dernières années ». Il va sans dire que nous tiendrons nos lecteurs informés des événements par lesquels nous comptons souligner cet anniversaire que l’on pourrait presque qualifier d’improbable dans le milieu culturel qui est aujourd’hui le nôtre ! Que l’on nous permette, déjà, de remercier tous ceux et celles qui nous lisent !