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Récit de voyage, récit de vie, récit filmique.
Récit oral et autobiographique.
Récit poétique, narratif et inévitablement un peu fictif...
Qu’en est-il du récit contemporain? La question du récit est de plus en plus problématique et continue d’alimenter les réflexions autour du genre; elle habite bon nombre de recueils et demeure centrale. Qu’est-ce que le récit? Que raconte-t-il? Comment raconte-t-il? Est-il issu d’un retour au Je, retour marqué par une réflexion sur l’identitaire, un identitaire tributaire d’une société du métissage? Serait-il plutôt assujetti à une possible fin ou encore est-il dominé par un passage, voire la peur de ce passage?
On peut examiner cette question différemment. Il est alors possible de considérer le poétique et tenter de comprendre comment il circule dans le narratif. Ce déplacement pose-t-il une trajectoire, préservant ainsi une certaine osmose entre récit et poésie contemporaine? Ou au contraire, fait-il rupture? Continuité? Plusieurs récits, sans se prétendre poétiques, sont investis par la « phrase poétique ». Plusieurs recueils, à leur tour, font limite entre la forme brève du poème (en prose et en vers) et un narratif où parfois même des personnages existent, une histoire se tisse. Les frontières semblent minces...
Cette supposition nous engage dans une approche singulière du récit visant un approfondissement qui tente de mettre en lumière les différents réseaux signifiants des récits, tantôt support de l’autobiographie, mais dans tous les cas de figure, appui distinctif de la fiction. À l’instar du renouveau du conte au Québec, le récit, du moins on pourrait le croire, témoigne de désirs qui passent par le Je récitant : par un Je du jeu de l’écriture.
Ainsi, il nous reste à comprendre vers quoi le décloisonnement du genre, au profit d’un foisonnement des genres unissant le récit tant aux arts visuels, à l’autobiographie, au cinéma, à la critique, à la poésie, à la psychanalyse, au roman qu’au théâtre, saura nous mener.
Comment lit-on des livres récents? N’importe quel objet ou sujet permet à l’être humain de se raconter des histoires et de se construire des récits, d’écrire des poèmes. L’être humain a cette capacité de fabulation. Quels regards le récit (fictionnel, autobiographique, critique, poétique, etc.) pose-t-il sur le monde? Les collaborateurs du présent numéro ont tenté de cerner la question. Marie Claire Lanctôt Bélanger trace les frontières entre récit et autobiographie, limites tissées à même la transgression du roman familial, alors que Sylvie Boyer s’attache à voir comment cette écriture autobiographique, tel un poignard, traduit l’écartèlement entre l’intime, l’affectif et le social. France Théoret compare l’écriture de deux femmes qui écrivent des récits personnels, peut-être étranges, mais sans histoire, et qui, pourtant, font parler la langue tandis que Ching Selao s’intéresse à une aventure dans laquelle la cruauté trop humaine permet l’essor de l’inspiration d’écrivains encagés. Danielle Fournier s’investit dans une lecture transversale de Leslie Kaplan, romancière-poète et poète-narratrice qui pratique un genre en bordure du « réel » de la fiction; Catherine Mavrikakis nous invite à la lecture d’un Je de la perte de soi laissant place à la sensualité d’un corps à corps, d’un Je à Je poétique et gidien; Philippe Haeck murmure un récit pour bouger dans cette histoire comme s’il en faisait partie et André Roy propose une sémiotique du récit filmique tandis que Pierre L’Hérault traite du multiple narratif entre l’Histoire et la vie personnelle, et monte, comme au théâtre, un narratif sur scène. Stéphan Gibeault propose une lecture attentive de la déportation du « vrai Je » en « Je vrai » dans une dérive des continents où personne n’est totalement errant.
Voilà les enjeux de ce dossier. Entre récit et poésie, la fiction se déroule un peu ici, un peu là, mais demeure inscrite au cœur même des débats sur les genres littéraires.
Souhaitant rendre hommage au lauréat du prix Spirale de l’essai 2003, nous avons choisi d’ouvrir ce dossier par un texte de Michel van Schendel, texte de souvenirs et d’un Je intime évoquant l’importance de Gaston Miron dans le paysage littéraire québécois, notamment au sein des éditions de L’Hexagone qui célèbre son 50e anniversaire.