Sanglant, décalé, mais virtuellement inachevé

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07.11.2020

Festival Image+Nation Horreur spécial Halloween, « Because sometimes it’s scary being queer », du 29 octobre au 1er novembre

[Mise à jour]

L’équipe du Festival a heureusement informé Spirale qu’une partie des problèmes techniques mentionnés, dont certains s’appliquaient uniquement à l’espace presse, avaient été depuis résolus en vue de l’édition 2020 d’Image+Nation.

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Pour souligner ses trente-trois ans d’activité – et parce que la pandémie de Covid‑19 oblige le milieu des arts à se réinventer – image + nation, le festival de cinéma LGBTQ de Montréal, a décidé cette année de proposer une expérience entièrement virtuelle. Et pour nous faire patienter jusqu’à l’événement officiel, qui se déroulera du 19 novembre au 6 décembre, on nous a offert une programmation spéciale d’Halloween entre le 30 octobre et le 1er novembre, « because sometimes it’s scary being queer ». Il s’agissait en quelque sorte d’un avant-goût thématique, mais peut-être serait‑il plus juste d’y voir un test préliminaire, considérant les pépins techniques qui ont accompagné les différentes projections. À ce titre, on ne peut qu’espérer que l’expérience sera repensée d’ici la fin du mois, afin que les mêmes désagréments ne se reproduisent pas au cœur de cette 33e édition.

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Des angles morts

Ce qu’on nous annonçait, c’était trois longs métrages (What Keeps You Alive, de Colin Minihan; Un couteau dans le cœur, de Yann Gonzalez; et Hellbent, de Paul Etheredge), ainsi qu’un assemblage de onze courts métrages, pour un total de quatorze films à visionner en l’espace de quatre jours. Chacune de ces quatre propositions avait une diffusion prévue en direct, mais la passe du festival devait aussi donner « accès à tous les films à la demande pendant toute la durée de l’événement après la projection live », soit jusqu’au 1er novembre, 23h59. L’expérience réelle qui nous attendait était toutefois différente. En effet, la liberté de visionnement n’était pas celle à laquelle on pouvait s’attendre, puisqu’une fois lancé le visionnement d’un film, un décompte de vingt-quatre heures s’enclenchait, après quoi l’accès à l’entièreté de la programmation nous était verrouillé. C’est donc dire que si, par exemple, quelqu’un visionnait un premier film le vendredi 30 octobre, il devait visionner les quatorze films avant le lendemain, à la même heure – et non avant la fin du festival, le dimanche. Il s’agit là d’une première déception. Avoir vingt-quatre heures pour finir de visionner un film en streaming est pratique courante, mais devoir consommer l’entièreté de la programmation en autant de temps est beaucoup moins pratique. La déconfiture aurait été moins importante si on nous avait annoncé cette contrainte d’emblée, plutôt que de se la voir imposée une fois le décompte déjà enclenché.

Autre élément regrettable : l’accumulation de problèmes techniques. Sur les quatre propositions, deux sont restées inaccessibles, soit la moitié du contenu total. En effet, le lien qui aurait dû nous permettre de visionner What Keeps You Alive ne faisait que nous renvoyer au fichier du second film, Un couteau dans le cœur. Autre source de désagrément : il y avait un décalage notable entre la bande sonore et l’image de Hellbent, ce qui n’empêchait pas en soi de regarder le film, mais rendait l’expérience désagréable, voire insupportable. Au final, il ne nous aura donc été possible que d’apprécier Un couteau dans le cœur et l’ensemble des onze courts métrages ; ce qui n’est pas rien, mais ne correspond assurément pas à l’expérience promise.

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De l’humour camp à l’homophobie sordide

Heureusement, la qualité et la diversité des films proposés était, elle, des plus réjouissantes ; il ne fait aucun doute que cette programmation avait été bien réfléchie par les organisateur·trices, ce qui ne fait au final que confirmer la pertinence d’un tel événement. Comme le suggérait l’appellation « Psycho Shorts + Creepy Courts », qui regroupait l’ensemble des courts métrages présentés, l’habile sélection de films nous permettait de valser entre l’exaltante esthétique camp et les drames psychologiques les plus sombres. Du côté des thématiques, on y trouvait d’ailleurs de nombreuses récurrences : l’homosexualité refoulée qui hante (littéralement) les protagonistes, l’anonymat des dating apps et le risque des rencontres de hasard, la maladie mentale, les amours déçus, l’intolérance et la violence homophobe, l’incertitude de la sexualité SM sans balises claires, etc. En fait, c’est probablement cet imaginaire non-normatif et déviant – que le camp fait souvent basculer dans les stéréotypes – qui permet à ces films queer d’être aussi riches sur le plan symbolique ; il y a d’emblée quelque chose d’inquiétant dans le fait de s’écarter de la norme, de vivre sa sexualité clandestinement, dans les zones d’ombre, en marge de la société, ce qui offre un cadre parfait à tout scénario d’horreur. Par ailleurs, en plus de nous rappeler nos peurs, nos inquiétudes et nos traumas, les films les plus intéressants sont ceux qui procédaient à un renversement salvateur, c’est‑à‑dire que le protagoniste queer s’y révoltait contre la source de son oppression. À travers d’inventives formes d’agentivité, les personnages revendiquaient momentanément le rôle du « monstre » qu’on leur attribue communément, mais pour en faire cette fois le moteur de leur libération.

Un couteau dans le coeur, Affiche

S’il fallait toutefois critiquer un aspect de cette programmation, il faudrait peut-être mentionner un manque de diversité dans la représentation des identités : au-delà d’un certain déséquilibre entre les représentations gays et lesbiennes (sur les quatorze films présentés, neuf avaient en leur centre des protagonistes gays, et cinq des protagonistes lesbiennes), ce qui ressort de ce panorama est la quasi‑absence de personnages bi et trans. Peut-être que l’offre de films d’horreur est plus limitée, mais on ne peut tout de même s’empêcher de souligner cet angle mort au sein d’un festival qui entend préserver l’authenticité et la diversité des voix LGBTQ+.

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