Rendez-vous avec le court

10576_chronique_du_bout_de_mon_rang_02_2
14.05.2021

Les Rendez-vous Québec Cinéma, présentés en ligne et en salle du 28 avril au 8 mai 2021.

///

Depuis 39 ans, les Rendez-vous Québec Cinéma sont l’occasion de (re)visionner les plus récents films québécois et d’apprécier en quelques jours une multitude de genres et d’approches cinématographiques. Les courts-métrages sont de la partie, occupant une très grande place de la programmation et offrant une diversité non démentie cette année, même si le contexte pandémique aura naturellement marqué le contenu d’une partie des œuvres choisies. C’est le cas, par exemple, pour La veille de Christine Chevarie-Lessard, suite d’échanges touchants entre la réalisatrice et Marguerite Paquin, une femme âgée qui a eu à faire le terrible deuil de 14 sœurs de sa communauté religieuse. Par ailleurs, dans Chronique du bout de mon rang, le réalisateur Nicolas Paquet récolte de sa voiture les témoignages spontanés des gens qui passent par là, en pleine pandémie. N’empêche, les thèmes et les formes étaient foisonnants lors de cette édition du festival, présentant toutes les variations de la fiction et du documentaire, mais proposant aussi des films appartenant aux disciplines de l’art, de la danse et même du vidéoclip.

Presque toute la programmation était présentée en ligne, situation permettant une certaine liberté dans la participation du public, pouvant se décliner en une infinité d’expériences festivalières individuelles. Dans ce contexte, il est en effet aisé de faire fi des programmes de courts-métrages proposés, des regroupements thématiques dont le principe fédérateur n’est pas toujours convaincant. Libre au spectateur et à la spectatrice de naviguer à sa guise dans la programmation et de construire un parcours cinématographique dont les clés lui appartiennent. Je laisse ici quelques jalons du mien.

Utopismes

Dans Ruines, de Mario DeGiglio-Bellemare, on assiste à une succession d’images vibrantes et saturées de l’ancien Ciné-Parc Laval, maintenant à l’abandon. Les écrans géants se dressent toujours contre le ciel, mais sans plus aucune fonction concrète. Ces images sont accompagnées par des extraits audio du film Shivers, de David Cronenberg, collage étrange de sentences vantant le luxe de la vie moderne et prônant un retour à la sensualité (ou plutôt, à une sexualité omniprésente et généralisée), alors que l’être humain serait devenu une créature qui pense trop, dénaturée par la place de la raison. Entre ces bribes du film de Cronenberg et les images du Ciné-Parc en ruines, il y a un fil que le spectateur et la spectatrice doivent retrouver. Le film semble proposer une assimilation troublante entre l’imaginaire dystopique de Shivers et les ruines modernes du Ciné-Parc, comme si c’était une même aspiration utopique maladive qui avait fait ériger d’immenses panneaux dédiés au divertissement des masses.

ndagukunda-deja-documentaire-0sebastien-desrosiers

L’autre face de l’utopie, celle lumineuse et constructive, est celle à laquelle renvoie le titre du court-métrage de Jacinthe Moffatt, Le bâtiment 7 ou la petite histoire d’une grande utopie. Le documentaire, classique dans son approche, présente les efforts et les combats entrepris par la communauté de Pointe-Saint-Charles pendant plus de dix ans pour s’approprier le site laissé à l’abandon, dans le but d’en faire un espace utile aux gens du quartier. Le film met de l’avant les principes d’autogestion, de participation citoyenne et de militantisme qui ont guidé cette aventure du début à la fin. Ce n’est donc pas seulement l’histoire d’un grand chantier que le documentaire expose, mais aussi un idéal social et politique.

Méditation

La question du vivre ensemble apparaît, quoique moins explicitement, dans le magnifique Avant la nuit, de Nadine Gomez. Comme elle l’avait fait dans Exarcheia, le chant des oiseaux, la réalisatrice propose dans son court-métrage une réflexion philosophique et anthropologique, cette fois motivée par le début de la pandémie. Nadine Gomez laisse entièrement la parole au penseur Jean Pichette, qui déploie sa pensée dans des messages téléphoniques adressés à la réalisatrice. Celui-ci insiste sur l’importance de réfléchir collectivement à ce que signifie bien vivre, au-delà des chiffres, des statistiques et des données scientifiques. La réponse réside selon le penseur dans le monde sensible, c’est-à-dire là où se logerait fondamentalement la vie. Les images du film se déploient parallèlement à ces monologues méditatifs, s’en faisant à la fois l’illustration et la prolongation. Paysages, flore, enfants, pêcheurs, animaux de la ferme constituent un catalogue d’images douces et réconfortantes qui semblent répondre à l’appel du penseur à être attentif à la beauté et à la poésie du monde.

La beauté des images est d’ailleurs frappante dans un autre film tout à fait remarquable de cette édition des RVQC, La chambre. Dans ce court-métrage de fiction, une ville familière nous est montrée à travers des vitres (d’autobus, d’appartement) et des écrans (la neige). On devine Montréal, mais rien n’est vraiment familier, impression encore accrue par le choix du noir et blanc et par la narration en langue étrangère qui accompagne les images. Ces éléments transposent ainsi magnifiquement l’état d’exil, qui est au cœur du film de Sami Mermer et Houman Zolfaghari. Histoire d’une rencontre imprévue entre deux immigrants à des moments opposés de leur parcours, La chambre parle de douleur et d’amour avec une poésie visuelle foudroyante et juste assez d’opacité et de silences pour stimuler l’activité interprétative du spectateur et de la spectatrice.

arton77138

L’exil est par ailleurs au cœur du court-métrage documentaire de Sébastien Desrosiers et David Findlay, Ndagukunda déjà. Le film documente les moments d’une quête personnelle, alors que Sébastien Desrosiers rencontre pour la première fois, à l’âge de 28 ans, son père d’origine rwandaise établi au Québec. Le journaliste réalise également, dans la foulée de cette rencontre, son premier voyage au Rwanda.Cette quête est l’occasion pour le réalisateur de tisser des liens jusque-là inexistants avec une partie de sa famille, de reconstruire son identité et de penser le génocide qui fait tristement partie de son héritage familial. Sensible et généreux, Ndagukunda déjà est un condensé de chaleur humaine.

Sentiments humains

Du côté de la fiction, Comme une comète, d’Ariane Louis-Seize se démarque des courts-métrages présentés cette année aux RVQC par une écriture et une interprétation d’une justesse vraiment remarquable. Le film gravite autour de l’attirance de Chloé (Marguerite Bouchard), quelque part entre le milieu et la fin de l’adolescence, pour le nouveau chum de sa mère (Whitney Lafleur), interprété par l’irréprochable Patrick Hivon. Le sujet est simple, et le film aurait pu verser dans l’exagération ou au contraire dans la légèreté. Parfaitement à mi-chemin entre ces deux écueils, la réalisatrice porte à l’écran, sans failles, les sentiments de ses personnages et les relations complexes qui les relient. Le spectateur et la spectatrice se laissent complètement emporter dans la fiction, comme s’il s’agissait de la vie.

Articles connexes

Voir plus d’articles