Maxime Olivier Moutier n’est pas Chris Burden

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23.11.2016

Maxime Olivier Moutier, Journal d’un étudiant en histoire de l’art, Montréal, Éditions Marchand de feuilles, 2015, 457 p.

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Avec son dernier opus, Maxime Olivier Moutier emprunte la posture de l’artiste-performeur. En entrevue, il dira :

Je n’ai pas voulu être écrivain dans la vie […]. L’autofiction, ce n’est pas de la littérature, mais une expérience de soi. C’est une performance que tu fais avec ton corps, avec ton être. Tu te commets là-dedans, mais ce n’est pas narcissique. Je ne parle pas de moi. J’utilise des mots, mais je m’identifie plus aux artistes contemporains. Je trouve plus tripant ce qu’Anish Kapoor fait que ce que font les écrivains aujourd’hui.

Il y a dans ces propos le cadre de création à partir duquel Moutier construit sa démarche : refus de la littérature, question du corps en performance par le biais de l’autofiction et valorisation de la pratique artistique au détriment de celle de l’écriture, autant d’idées sur lesquelles repose le roman et qui donnent l’occasion à l’auteur d’explorer les liens entre histoire de l’art et pratique d’écriture. Plus précisément, le Journal d’un étudiant en histoire de l’art propose une mise en fiction d’une expérience à laquelle s’est adonné Moutier : retourner à l’université le temps d’un certificat en histoire de l’art. Dans les moindres détails, le narrateur consigne par écrit ses impressions sur son parcours d’étudiant, la matière enseignée, sa vie familiale, la société. L’art comme toile de fond motive autant les gestes et les réflexions des personnages que l’acte créateur même de l’auteur du roman.

Pourtant, aussi alléchant que puisse paraître ce programme, le Journal n’arrive pas tout à fait à tisser des liens solides entre histoire de l’art et littérature comme performance, laissant ainsi l’impression d’un récit en surface plutôt qu’un véritable travail d’expérimentation à l’image des artistes tant admirés.

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Chris Burden, Shoot, 1971.

Performance, autofiction, littérature : représenter l’artiste

Chez Moutier, le rapport à l’écriture est marqué par un intérêt pour l’art conceptuel plutôt que pour le littéraire, un paradoxe que soulignent à la fois l’auteur et son alter ego de papier. Celui-ci s’ennuie : alors que son couple fout le camp, que sa vie familiale l’aliène et que son poste de psychanalyste dans un centre de crise le lasse, le retour sur les bancs d’école est rempli de promesses. Invité à parler de son métier d’écrivain devant des étudiants, le narrateur explique sa démarche :

Il m’apparaît clair que je m’identifie beaucoup plus à Chris Burden qu’à un écrivain d’aujourd’hui, qui gagne des prix et qui reçoit des bourses. Il ne me semble jamais qu’un écrivain est hot, ou fait quelque chose de fou. Alors que je retrouve cette ferveur que j’admire tant, et qui me pousse à écrire, dans le travail de plusieurs artistes conceptuels. C’est à eux que je souhaite ressembler. […] Je ne fais pas de la littérature, mais de l’art contemporain.

En jouant avec son identité de créateur, le personnage invite à revoir le statut même de son texte : le journal se pose ici comme la trace d’une performance, sorte d’artefact artistique. À ce sujet, Moutier réfléchit : «[…] il serait selon moi beaucoup plus intéressant d’être un artiste qui écrit des livres, et dont le travail serait un jour étudié dans le corpus d’un cours d’histoire de l’art, que d’être étudié dans un département de littérature […]», des mots qui traduisent non seulement un fort désir de se percevoir, mais aussi d’être perçu en tant qu’artiste. La forme du journal s’avère ainsi un choix judicieux de médium et de support, car elle permet d’amplifier l’effet de réel de l’expérience vécue et de mettre à distance la fiction littéraire.

De l’art comme thérapie : représenter l’histoire de l’art

Au fil des pages, le récit déploie une structure en trois temps : la description des activités quotidiennes du personnage principal, l’assimilation de la matière et des concepts, enfin, une certaine observation sur la place des artistes en société. Les sorties arrosées avec la jeune maîtresse, les résultats de travaux de session, la planification des vacances familiales alternent avec des chapitres consacrés à la description de théories en histoire de l’art. Un tel dispositif inscrit l’auteur et le narrateur au cœur d’une histoire de l’art qu’ils tentent de (re)construire, fragment par fragment. Évoquer Vic Munik, Chris Burden ou Viollet-le-Duc, citer Georges Didi-Huberman ou Paul Ardenne, sont les moyens qui permettent à Moutier de dresser les contours d’une «cure» à son mal-être. L’histoire de l’art agit, en quelque sorte, comme décor thérapeutique…

Sauf qu’en bout de ligne, il reste l’impression d’un travail inachevé. Bien sûr l’intérêt de Moutier pour l’art est contagieux, mais les descriptions d’œuvres et de textes n’arrivent pas à s’amalgamer à son quotidien. Quoiqu’il trouve un réconfort dans ses lectures, il n’en pose pas moins un regard naïf sur la matière, enchaînant, dans des résumés fades, les courants et les concepts, usant d’une écriture terne :

Premier cours. J’apprends déjà des faits que je n’oublierai plus. Au chapitre des impressionnistes, par exemple, j’ai compris qu’il y avait d’autres bonnes raisons de considérer leur importance. Puis qu’avec eux à cette époque, il s’agissait de peindre ce qui se trouvait devant soi. Tel quel. Et non plus de mettre en scène de grandes histoires tirées de mythes et de grands récits.

L’avalanche de noms, sans cesse rappelés au lecteur, fait ombrage à une véritable réflexion qui mettrait en perspective cette idée que l’art est subversif, qu’il change notre perception du monde, que les artistes construisent des discours avec une portée universelle.

Si le ton cynique laissait présager une forme de critique sociale, celle-ci s’écroule sous le poids d’un regard parfois condescendant sur le monde observé :

Puis, direction Caisse de dépôt et de placement du Québec. Probablement le plus bel endroit de style contemporain de Montréal. […] Je me demande s’il existe d’autres œuvres qui dorment aux autres étages, dans les bureaux et les salles de réunion. Payées par nos impôts et dont tout le monde se fiche. Mais pour le savoir, il faut être un grand financier. Avoir étudié aux HEC. Déambuler promptement dans les corridors avec un attaché-case, trois espressos Tassimo au fond de la gorge.

Par ailleurs, le personnage principal, figure blasée qui traverse les épreuves sans émotions, provoque peu d’attachement. L’épuisement, la maladie, la passion, les blessures physiques s’incarnent mal dans sa chair.

Malgré ses faiblesses et quelques maladresses stylistiques (on repassera pour les épisodes de réalisme magique), le Journal souligne avec pertinence le peu de place accordée aux arts visuels dans la collectivité, trop souvent relégués à une fonction décorative. Maxime Olivier Moutier n’est peut-être pas Chris Burden, mais son approche de la littérature a le mérite d’essayer de repousser les frontières des pratiques.

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