La jeune fille et la mort

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28.10.2019

Le ravissement, d’Étienne Lepage ; Mise en scène : Claude Poissant ; Assistance à la mise en scène : Catherine La Frenière ; Décor : Simon Guilbault ; Lumières : Marie-Aube St-Amant Duplessis ; Costumes : Marc Senécal ; Interprétation : Reda Guerinik, Laetitia Isambert, Simon Landry-Désy, Nathalie Mallette et Etienne Pilon. Présenté au théâtre de Quat’Sous jusqu’au 16 novembre 2019.

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Certains mordus de Shakespeare pourraient vous dire que la vie n’est qu’un immense théâtre dans lequel nous tenons tous un rôle et que, jour après jour, soir après soir, on se doit de respecter chacune des répliques de la représentation pour que l’équilibre social soit maintenu. Qu’arrive-t-il quand, du jour au lendemain, disons la journée de nos dix-huit ans, le rôle dans lequel nous sommes campé ne nous intéresse plus ? Qu’épris de cette liberté nouvelle adjointe à la majorité, nous avons envie d’autre chose. Le ravissement, dernière création d’Étienne Lepage, tente de circonscrire les questionnements de ce moment de bascule en l’espace d’une soirée, celle que le spectateur passe au théâtre, à assister à celle des dix-huit ans d’Arielle (Laetitia Isambert). Quand le vent de la liberté souffle sur les braises de la jeunesse, les attentes volent en éclats au grand dam de tous ceux qui auraient préféré garder en cage l’adolescente. Après tout, on le sait, les femmes libres sont dangereuses.

La soirée devait se dérouler rondement. Sa mère avait tout prévu, le retour de l’école, les devoirs, la famille qui débarque, le souper d’anniversaire organisé pour celle qu’elle surnomme « Pinson » : tout ira bien dans le meilleur des mondes. Seule ombre au tableau,  Arielle ne croit pas rester, elle a mieux à faire. S’ensuit une tirade de la mère, qui ne peut concevoir ce changement de cap – elle qui croit connaître sa fille « comme si elle l’avait tricotée ». Stoïque et obstinée, Arielle quitte malgré les menaces maternelles : « Si tu pars, tu ne reviens plus. » L’altercation donne au spectateur l’opportunité d’apprécier le jeu de Nathalie Mallette, qui campe la matriarche. Il y avait un temps qu’on ne l’avait pas vue sur les scènes montréalaises, du moins avant que Christian Lapointe n’en fasse sa Jocaste dans Le reste vous le connaissez par le cinéma, qui avait été présenté à l’Espace Go au courant de l’automne 2018. Sa performance est, dans Le ravissement, beaucoup plus efficace. C’est que la partition de Lepage lui sied à merveille : mère control freak, passive agressive dans sa candeur, elle nous livre plusieurs répliques savoureuses.

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Arielle rejoint son copain, lui qui s’était peut-être fait des idées alors qu’elle l’avait convoqué le soir de ses dix-huit ans. Lorsqu’il la retrouve froide, un peu à côté de ses pompes, il ne comprend pas, et sa perplexité augmente lorsque la jeune fille décide de partir. Bien sûr, toxique comme la mère, ce copain y va de menaces, fait planer l’ombre de sa disparition définitive si Arielle venait à partir. Bien que volontairement caricatural, ce personnage, nerveusement interprété par Simon Landry-Désy, demeure sans relief. Dailleurs, ses provocations tombent à plat au sein même du récit : Arielle poursuit son petit bonhomme de chemin jusqu’au bureau de son patron, à qui elle vient s’offrir, ne l’avouant qu’à demi-mot. Dans ce rôle, Étienne Pilon nous sert les meilleures lignes de la soirée. Son personnage de tombeur de petite semaine est triste et magnétique à la fois. Mais cela n’empêcherai certainement pas l’adolescente de le laisser lui aussi en plan.

Déception

À mi-chemin de la représentation, le sepctateur demeure curieux, prêt à comprendre le pari de la proposition, avec ses répétitions et son opposition entre l’imperturbabilité de la protagoniste et la rage à peine voilée des personnages secondaires… mais il s’interroge de plus en plus sur la direction que souhaite prendre la pièce, ou à propos des sentiers sur lesquels elle souhaite nous mener. Le temps commence à être long lorsqu’on refait le même chemin à l’envers (Patron, Chum, Mère) pour retrouver, cette fois-ci, chacun des personnages auparavant réfractaires à l’indépendance d’Arielle à genoux devant elle, s’excusant et la priant de rester. Mais leur insuccès les incite à prendre les grands moyens pour faire payer son insolence de cette jeune adulte. La pièce se met alors à verser dans le ridicule, comme si la dose excessive d’éléments caricaturaux visait volontairement à nous faire hausser les épaules. Reda Guerinik fait donc ainsi son entrée avec un petit rôle pour clore le tout, mais, malheureusement pour lui, on était déjà désinvestis de la suite des choses. Bien que Laetitia Isambert parvienne à tenir une partition difficile tout au long de la pièce, ce n’est malheureusement pas suffisant pour sauver la soirée.

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Bien que l’on comprenne (relativement) où Lepage souhaite en venir avec sa pièce, et malgré la mise en scène sobrement efficace de Poissant, Le ravissement présente des arcs narratifs étranges qui perdent en cohérence au fur et à mesure que le récit progresse. Le ravissement du titre, c’aurait pu être l’exultation d’Arielle, au seuil de l’âge adulte, où la tentative de capture et de contrôle à laquelle se livre son entourage : dans tous les cas, ce n’est malheureusement pas le sentiment qu’éprouve le spectateur en sortant du théâtre.

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