La défaite perpétuelle par l’action vide

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La défaite perpétuelle par l’action vide.

GOP Arcade, Thoughts and Prayers: The Game, 2016. http://www.thegoparcade.com/game/thoughts-and-prayers-the-game

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Il y a quelques semaines avait eu lieu à Las Vegas l’attentat commis par arme à feu le plus meurtrier d’une triste lignée. Certaines caractéristiques de ce drame sont particulières (par exemple, la planification méticuleuse de l’assassin et l’utilisation de chargeurs surdimensionnés) mais on pouvait tout de même anticiper sans trop se tromper certaines des réactions face à cette tragédie. D’un côté, les commentaires et cris du cœur exaspérés et dénués d’humour des animateurs d’émissions de fin de soirée, plaidant pour un contrôle accru de la vente d’armes à feu de calibre militaire; de l’autre, l’appel à la retenue de la part des représentants du lobby des armes à feu qui défendront le sacro-saint Deuxième amendement jusqu’à leur dernier souffle. Peu importe de quel côté du débat on se situe, ces réactions ont ceci de louable qu’elles tentent d’amorcer un dialogue, de s’engager vers une solution (ou au contraire de plaider pour un statu quo). Or, un autre type de réponse prévisible s’est fait entendre; la réaction de la majorité des politiciens de droite appelés à commenter à chaud cette tragédie allait prendre la forme d’une expression de « pensées et prières » à l’égard des victimes et de leurs proches. 

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C’est le caractère improductif de ces paroles vides qui est démontré par le jeu vidéo grâce à Thoughts and Prayers : The Game, une production du GOP Arcade. Ce collectif de designers de jeux vidéo indépendants a comme bête noire le Grand Old Party et propose des expériences vidéoludiques brèves qui décrient les prises de position du parti républicain. Par exemple, Good Guy With A Gun nous demande de vendre des armes à feu à n’importe qui tout en prenant soin d’éviter les clients détraqués (tous les autres sont les bienvenus). Trump Toss invite à incarner l’actuel président* américain ; dans ce rôle, le but du jeu est de rendre sa grandeur à l’Amérique en projetant des mexicains stéréotypés au-delà du « mur » hypothétique promis par Trump. Les jeux de la GOP Arcade ne donnent pas dans la subtilité et passent leur message en moins d’une minute. Toutefois, Thoughts and Prayers : The Game se démarque du lot. 

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L’interface est on ne peut plus simple : une carte des États-Unis et trois options d’action, soit appuyer sur T pour transmettre des pensées, P pour effectuer une prière et, éventuellement, B pour bannir la vente d’armes d’assaut (cette action ne peut jamais être effectuée, faute de votes au Congrès ou parce que l’on se fait rappeler que l’appui financier de la National Rifle Association est indispensable à notre réélection). Sur la carte apparaissent des noms de ville accompagnés du nombre de victimes. En appuyant frénétiquement en alternance sur les touches T et P, on peut obtenir un « pointage respectable », affiché en écran de fin de partie, où on se fait féliciter par un rugissant « Great job! ». Or, en dépit de notre performance, aucune vie n’est sauvée.

On le comprendra, la mécanique de jeu limite les actions possibles afin de faire prendre conscience au joueur de l’absurdité de réagir à des violences répétées par le simple pouvoir de la réflexion ou de la prière. Au-delà de ce constat initial, ce qui devient assez troublant est de lire des noms de villes auxquels on peut associer de réelles tragédies, comme Denver, Miami et Chicago, et d’autres pour lesquels on peut facilement concevoir qu’il a pu se produire une tragédie sans qu’elle ait fait l’objet d’une couverture médiatique étant parvenue jusqu’à nous. Prendre acte du répertoire de lieux ayant été le théâtre de massacres par armes à feu a quelque chose d’accablant et permet de donner la mesure de l’aspect itératif de ces incidents qui pourraient être contrecarrés, ou du moins espacés, si une volonté politique de modifier la législation sur la vente et la possession d’armes à feu se manifestait.

En fait d’activisme vidéoludique, ce jeu n’a pas la puissance évocatoire d’une production de la Molleindustria ou du travail de Gonzalo Frasca (September 12th). En effet, même si le message passe de manière efficace, il est désolant qu’une œuvre qui critique l’inanité de s’en tenir à des bons sentiments grâce à un humour caustique ne relève pas qu’elle commet le péché qu’elle condamne. Il aurait été plus éloquent de ne pas se limiter au constat et de plutôt joindre la parole au geste: par exemple, au terme de la partie, il aurait été facile d’inviter le joueur à écrire une lettre à son représentant ou à verser une contribution en argent à un organisme de charité offrant du soutien aux victimes de violences par arme à feu. La critique a certes comme rôle premier de mettre en lumière le problème; or, une fois l’appareillage formel en place, on aurait souhaité voir apparaître une piste de solution.

 

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