
Peer Gynt, texte de Henrik Ibsen, adaptation et mise en scène de Olivier Morin, avec Christophe Baril, Émilie Bibeau, Kim Despatis, Sébastien Dodge, Steve Gagnon, Caroline Lavigne, Olivier Morin et Guillaume Tremblay. Présenté au théâtre du Quat’Sous (Montréal) du 30 janvier au 19 février 2017.
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Dans le cadre du Cycle scandinave du Théâtre de l’Opsis, Olivier Morin s’attaque à un classique de la littérature norvégienne en mettant en scène Peer Gynt du dramaturge Henrik Ibsen. Farce sur le théâtre de l’époque et ses cadres référentiels, il semblait y avoir là un terrain de jeu parfait pour Morin et ses complices Guillaume Tremblay et Navet Confit avec lesquels il s’éclate plus souvent qu’autrement dans leur compagnie Théâtre du Futur.
Peer Gynt est un antihéros qui, dans une quête de dépassement et d’affirmation de soi, se retrouvera toujours à échouer et à échapper le bonheur et le succès qu’il croyait avoir acquis. À travers son aveuglément quasi maladif, il sillonnera des contrées étrangères, fuyant sa Norvège natale, espérant pouvoir se construire comme le mythe qu’il a toujours espéré devenir.
Entre deux époques
La scénographie crée habilement et à peu de fais un décor permettant d’être tantôt en plein cœur des bois norvégiens, tantôt dans un Maroc fantaisiste, avant d’errer en Arabie ou de tanguer sur un bateau à l’aune d’un naufrage. Cette simplicité scénographique était essentielle à la création d’une telle épopée, question d’espérer happer les spectateurs pendant près de 120 minutes et de les projeter rapidement d’un univers à l’autre. Le fardeau de la pièce repose pourtant sur Guillaume Tremblay, qui interprète Peer Gynt, tandis que le reste de la troupe joue une panoplie de personnages qui seront à la fois juges et témoins des péripéties de ce rêveur solitaire.
Le Peer Gynt de Tremblay a quelque chose de beige et cela va au-delà de ses habits. Lui qui doit porter la pièce en entier, on a l’impression qu’il nous propose un personnage nonchalant – de son époque peut-être ? –, mais qui s’essouffle plus la pièce avance. Alors qu’il devrait propulser la pièce, il semble pourtant s’appuyer sur ses partenaires de jeu. Et si on peut concevoir la lâcheté de ce Peer Gynt comme une critique de la jeunesse d’aujourd’hui, les ponts, au sein de la représentation, resteront à bâtir entre le texte du 19e siècle d’Ibsen et sa pertinence actuelle. Or les pistes contemporaines auraient été nombreuses à pouvoir être explorées, à une époque où chacun participe d’une mythification de soi à travers différents canaux communicationnels.
La scène d’ouverture donne par ailleurs le ton à la pièce qui, à l’origine, vaquait entre le drame poétique et la farce : la mère de Peer Gynt le poursuit, hache à la main, le traitant de menteur et de lâche pour l’avoir laissée seule des jours durant, elle que les autorités recherchent, encore en train de payer les dettes d’un père aussi mythomane et prétentieux que son fils. On est frappé par le vaudeville de la proposition de départ qui, pourtant, ne sera pas présent tout au long de la représentation. C’est un peu comme si on avait désiré épouser les propos d’Ibsen sans avoir trouvé quoi en dire aujourd’hui ni avoir voulu en évacuer complètement le ton de farce que l’auteur avait donné à sa pièce. On se retrouve devant une proposition qui semble plus ou moins confortable, menant deux chevaux de bataille simultanément.
Si s’attaquer à des classiques comme celui d’Ibsen relève à la fois d’une tâche gargantuesque et d’un devoir de mémoire essentiel, n’en demeure pas moins que cette adaptation de Morin semble s’asseoir entre deux chaises, hésitant entre rester fidèle au texte ou épouser une portée plus contemporaine. En résulte une pièce inégale, qui parvient trop peu à faire ressortir la pertinence du théâtre d’Ibsen, sans non plus pousser à fond son personnage quasi burlesque, ce à quoi on pouvait s’attendre de la part du duo Morin-Tremblay. Si le roi des trolls confie à Peer Gynt que leur propre devise est « Sois toi-même, juste assez », c’est un peu l’impression que la proposition nous laisse à la sortie du théâtre : on en a malheureusement fait juste assez.