Jean-Pierre Morin : de la moraine au météore

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14.06.2016

Entre terre et ciel, exposition présentée au 1700 La Poste, 1700 rue Notre-Dame Ouest, Montréal, du 18 mars au 19 juin 2016.

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Les premières sculptures de Jean-Pierre Morin ont été conçues à partir de roches provenant de la moraine. La forme polyédrique — lisse, angulaire ou augmentée d’un long col — de ces débris rocheux délaissés par les glaciers poursuit l’artiste dans ses œuvres depuis plus de trente ans. Ce n’est pas un hasard si le bronze refait surface dans plusieurs des pièces récentes de son corpus, et il ne serait pas étonnant non plus d’y retrouver bientôt des pierres. Car depuis plusieurs décennies déjà, Morin ennoblit les matériaux fondateurs de notre civilisation : pierre, bronze, fer. De même, nage-t-il à contre-courant des pratiques artistiques en sculpture depuis ses tout débuts dans les années 1980, alors que ses camarades se ruaient sur les cours de type «Open media» donnés, entre autres, par Irene F. Whittome à l’Université Concordia. S’il perfectionne les techniques traditionnelles et s’intéresse à l’artillerie lourde, Morin conservera au fil des ans une approche minimaliste et conceptuelle évidente, influence provenant d’autres sculpteurs et peintres, dont il a été l’étudiant ou le successeur : Ulysse Comtois, Paul Neagu, Charles Daudelin, Leopold Plotek, Andrew Dutkewych, Guido Molinari, pour ne nommer qu’eux. Entre terre et ciel, entre ciel et terre, voilà une subtile inversion qui symbolise à elle seule le parcours atypique de l’artiste.

L’exposition présentée au 1700 La Poste à Montréal se déploie sur trois niveaux : sous-sol, rez-de-chaussée et mezzanine, auxquels il faut ajouter une petite pièce servant autrefois de coffre-fort à cet ancien bureau de poste, tout récemment restauré et métamorphosé en lieu d’exposition privé. Dans cet espace exigu au plafond bas niche la majorité de la production en format réduit du sculpteur : un fabuleux assemblage de maquettes qui donne un coup d’œil fidèle sur l’ensemble de son œuvre, de façon ludique. Le mur frontal arbore d’ailleurs une reproduction grandeur nature d’une tablette de l’atelier de l’artiste, remplie à craquer de ces mêmes miniatures, créant ainsi un joli trompe-l’œil.  

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Dans la partie médiane du rez-de-chaussée sont disposés huit éléments en résine d’époxy, tous peints en blanc, et un neuvième en aluminium chromé, qui accuse un angle clairement assumé, différent du lot; une sortie de rang, comme le suggère son titre. L’espacement alloué entre chaque pièce, haute de deux mètres, est précis et calculé à la manière des strates répétitives que l’on retrouve dans la série 22,5º (2009) ou des carrés soudés dans plusieurs sculptures récentes, disséminées au même niveau. Sortie de rang (2015) a des allures de grandes algues boursoufflées; en fait, tout le rez-de-chaussée donne l’impression d’un récif désaturé où ce seraient échouées, çà et là, des structures à la fois simples et élaborées, des carcasses polies à fleur d’eau. Chaque œuvre incarne aussi son pendant immatériel (vent, lumière, pluie, etc.), un effet renforcé par la sélection de dessins abstraits au graphite. Pour la plupart récents, hormis une dizaine datant de 1978, ces esquisses tapissent les murs jusqu’à la mezzanine, où l’on retrouve quelques sculptures de format moyen en bronze, anodisées et en aluminium, disposées sur socle ouvert ou sur base intégrée à l’œuvre. Ce niveau procure un appel de lumière inouïe pour les œuvres, et un point de vue saisissant sur le rez-de-chaussée, dont on pourra embrasser du regard chaque pièce en plongée.

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Météore, 2016. Aluminium, 275 X 105 X 105 cm.

La série de graphite sur papier de 1978 sort tout droit des tiroirs de l’artiste. Chaque esquisse se présente en un seul trait continu, foisonnant et chaotique, à l’abri de toute volupté formelle. Ces dix œuvres assemblées sur deux murs forment le décor de la pièce de résistance intitulée Météore (2016), exposée tout au fond de la salle. Sorte de grande amphore chaudronnée, soudée de tout son long par des centaines de carrés sécants, meulés jusqu’à plus soif, cette masse de lumière est tout simplement déposée sur son flanc, au centre d’un palier à deux marches. On y voit sans effort un tombeau.

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Arrêt sur lumières

Le sous-sol, à première vue, ne semble pas tout à fait indiqué pour recevoir des œuvres. Or, la mise en espace parvient tout de même à mettre l’accent sur un aspect incontournable de la carrière du sculpteur, à savoir, l’art public. Trois boîtes lumineuses — deux suspendues et une troisième fixée au mur — laissent voir deux de ces projets d’intégration : Trombe (Musée national des beaux-arts du Québec, 2008) et Temps d’arrêt (parc Molson, Montréal, 2006), ainsi qu’une œuvre issue d’une collection privée, Réservoir II (2007). Un autre mur plein donne à lire la biographie de l’artiste alors que le mur opposé accueille un écran géant qui passe en boucle le film de Suzanne Guy, Jean-Pierre Morin. Le sculpteur de lumière (2016), réalisé en des temps records. La caméra s’invite dans l’atelier de Jean-Pierre Morin, que l’on observe au travail avec ses nombreux assistants et collaborateurs. D’autres séquences, plus spectaculaires, sont filmées à dos de drone en pleine nature, là où les œuvres de Morin semblent s’intégrer le plus justement. Des plans fixes, souvent rapprochés, laissent place au calme olympien de l’artiste, qui raconte en quelques bribes et de façon très intimiste son parcours d’homme et de sculpteur. Quelques moments privilégiés ont été retenus au montage : le dévoilement de la sculpture installée au chevet du 1700 La Poste, l’arrivée de Sortie de rang dans le lieu d’exposition, et quelques témoignages sentis d’amis et collectionneurs. On s’étonnera toutefois de l’absence de son galeriste de longue date, Louis Lacerte.

Comme la plupart des artistes ayant exposé au 1700 La Poste, Morin aura eu droit à un triplé : exposition, film d’auteur et monographie. On annonce l’ouvrage bilingue de 140 pages, publié aux Éditions de Mévius, comme le catalogue de l’exposition, alors qu’il s’agit bel et bien d’une monographie autonome et rétrospective, qui retrace les grandes lignes de la carrière du sculpteur. L’ouvrage est signé par l’historien d’art Dany Quine et de la critique et commissaire Marie Perrault. Entre terre et ciel offre un regard à la fois personnalisé et rigoureux sur une œuvre aussi marquante qu’inimitable.

crédit photos : Guy L’Heureux

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