Introduction à l’écologie cinématographique de Québec

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22.04.2015

Ici à Québec, d’où je rédigerai bimensuellement cette chronique à la manière d’un scribe assidu, nombreux sont ceux qui organisent ardemment depuis quelques mois colloques, rencontres, tables de concertation et autres sommets afin de cogiter sur l’état et l’avenir de notre «industrie cinématographique» (notez les guillemets).

Ne pouvant être pris en défaut de volonté – d’aucuns ajouteront naïve d’un ton goguenard –, ces bailleurs de fonds, producteurs, distributeurs et diffuseurs de tout acabit cherchent inlassablement à rendre attirante la Vieille Capitale, autant pour les productions de l’étranger («Offrez-vous un simili Paris à peu de frais!») que pour les nôtres («Ahem, on est ben accommodant?»). La fluide circulation des prochaines vues faites ici constitue également une priorité pour ces think tanks qui commencent à produire des petits. À vrai dire, notre fébrilité doit équivaloir à celle de nos prédécesseurs lors de l’annonce du tournage des Plouffe de Gilles Carle en 1980 (4,8 millions $ de budget et 2000 figurants, quand même, y’avait de quoi s’énerver).

Québec, ville photogénique et conciliante, à la rigueur, mais également ville sans salles de cinéma ni cinéphiles (détenant récemment la palme du pire ratio de salles per capita au pays) et sans même un baccalauréat universitaire consacré à la théorie et/ou à la pratique du septième art. Ombres sinistres barbouillant le tableau idyllique et qui, il va sans dire, réconforteront ceux qui n’habitent pas la Capitale nationale dans leur conviction que cette dernière tient plus du village réactionnaire carburant aux radios poubelles que du centre culturel dynamique qu’elle prétend parfois être.

 

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Limoilou : le film. Gracieuseté : Ciné-Scène.

Lapalissade quelque peu gênante à expliciter : le centre névralgique de notre lopin de terre cinéma (Québec, la province) se situe à l’ouest de l’autoroute 20 (Montréal, pour ne pas la nommer), où l’on s’octroie évidemment – et ça se comprend – les plus belles parts d’un gâteau aux pointes limitées. En reste, Québec s’est longtemps sentie inadéquate, voire circonscrite par cette bête image de haut lieu touristique, les cartes postales des présentoirs du Petit Champlain se chargeant à elles seules d’assoir et de calcifier une perception qui s’est arrogée une part de réel.

Résilience organisée

Mais à force de raboutage, Québec se voit aujourd’hui sur une pente ascendante. En février dernier était annoncée la fusion de deux de ses organismes phares, la coopérative vouée au cinéma indépendant Spirafilm et le centre de production et de distribution Vidéo Femmes, devenant ainsi l’entité amalgamée Spira. Cette nouvelle paraîtra anodine pour quiconque n’est pas directement touché par cette fusion, c’est-à-dire à peu près tout le monde sauf les employés et membres desdits organismes. Mais en bénéficiant ainsi de l’expertise de Vidéo Femmes en matière de distribution, Spira s’apprête à chambouler positivement le milieu, incluant Montréal et le reste du Québec.

Lors de l’annonce publique de ce mariage (obligé, mais pas forcé) à Montréal lors des derniers Rendez-vous du cinéma québécois, Catherine Benoit, directrice générale de Spira, a lancé cette boutade (paraphrasée de mémoire) : «Spira distribuera toutes sortes de films. Même ceux de Montréal, s’ils sont bons.» Somme toute inoffensive, cette pointe révèle malgré tout l’érection d’un écosystème plus confiant de ses moyens, constitué également, outre Spira, de jeunes compagnies de production comme Parallaxes (les documentaires Un film de chasse de filles et Coureurs des toits, le long métrage de fiction 2 temps 3 mouvements) et d’un festival majeur (celui de la ville de Québec) qui vient d’annoncer la venue de Ian Gailer à sa barre (ex-DG et guru de Regard sur le court métrage au Saguenay).

Les satellites, eux, survivent et signent, comme le diffuseur Antitube, le laboratoire de création Kinomada, la cellule Kinö Québec, le festival Vitesse Lumière et même le Cinéma Cartier, qui a changé de garde l’an dernier et qui s’en trouve plutôt bien depuis (multiplication de l’assistance, construction de nouvelles salles). Ce dernier s’est même fait un point d’honneur d’accueillir certains des festivals et producteurs susnommés afin de leur offrir une vitrine dans un centre-ville où les lieux de diffusion «classiques» manquent cruellement.

D’en haut, les pièces de l’échiquier accusent un équilibre que l’on n’avait pas vu depuis des lustres. Conséquemment, les films créés ici auront plus de chances d’être distribués sur le sens du monde au Québec et à l’international et pourront espérer quelques projections en salle avant d’atterrir avec un plouf! bien humide dans ces cloaques bigarrés que sont devenues les plateformes de vidéo sur demande. Tout à coup, il n’est plus totalement ridicule d’espérer vivre en faisant son cinéma à l’ombre du titanesque Centre Vidéotron.

Si Québec veut se doter d’une «industrie», aussi modeste qu’elle puisse être, redoutons quand même qu’elle le fasse au prix de ce qui la rend particulière. Pourquoi faire comme les Romains si nous ne sommes pas à Rome? Présupposons un instant que cette récalcitrante «crise» du cinéma québécois en est d’abord une de contenu et que le présent modèle hégémonique, qui ne présente les régions qu’à travers des regards de témoins expatriés, obstrue le champ des possibles narratifs et esthétiques. Bien que mineur, un film comme Limoilou – Le film établit néanmoins un précédent à Québec dans le modèle for us, by us (aussi connu sous l’acronyme FUBU) et laisse imaginer que ce type de production pourra bientôt vivre pleinement en dedans et en dehors des fortifications de notre belle ville parfois portée vers l’immobilisme. S’il nous a fallu attendre 20 ans avant d’avoir un Clerks bien à nous, souhaitons que notre avenir sera plus fécond en œuvres originales, distinctes et fortes.

 

Légende de la photo d’accueil : Un film de chasse de filles. Gracieuseté : Parallaxes.

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