Ici comme ailleurs

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02.06.2018

Un spectacle de Galharufa Produções, texte Michel Marc Bouchard; traduction en portugais Armando Babaioff; mise en scène Rodrigo Portella; interprétation Armando Babaioff, Kelzy Ecard, Camila Nhary et Gustavo Vaz; scénographie Aurora dos Campos; lumières Tomás Ribas. À la Maison théâtre (Montréal) jusqu’au 3 juin 2018.

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Depuis plus de trente ans, la dramaturgie de Michel Marc Bouchard se taille une place de choix dans le paysage théâtral québécois en plus de voyager de par le monde. Des Muses orphelines à La divine illusion, en passant par l’adaptation des Feluettes à l’Opéra de Montréal et par la mise en cinéma de Tom à la ferme par Xavier Dolan, on peut dire que l’écriture de Bouchard en est une qui laisse une immense liberté au regard d’autrui, permettant d’aussi singulières relectures. C’est dans cette optique qu’est présenté Tom na Fazenda, une adaptation de Tom à la ferme nous venant du Brésil, une pièce qui a fait grand bruit dans un pays qui compte parmi ceux ayant le plus haut taux de crimes homophobes.

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Créée il y à peine sept ans, il semble que cette pièce fasse déjà partie des classiques de notre théâtre. Tom quitte la ville pour se rendre en campagne dans la famille de son amant récemment décédé dans un accident de la route. Sa rencontre avec la mère dévote et le frère violent du défunt laisse présager le pire. Dès les premières minutes, Tom se rend bien compte que cette mère ignore tout de l’homosexualité du fils qu’elle pleure, alors que le frère, Francis, quant à lui, impose ce mensonge par la force de ses poings. Quiproquo malaisant dans un lieu où les tabous se tiennent aussi droit que les plants de maïs, Tom à la ferme questionne l’identité dans le deuil. Il faut en avoir été témoin au moins une fois pour comprendre l’intelligence dramaturgique de Bouchard, sa façon de se jouer des faux-semblants et d’enfiler divers retournements narratifs avec un naturel qui surprend.

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Pour transposer sur scène cette campagne québécoise désormais brésilienne, Rodrigo Portella n’utilise que terre et boue, chaudières et cordes. Sur la scène, une immense bâche de plastique recouverte de terre sur laquelle on lancera, au fil de la représentation, quelques seaux d’eau. Tantôt une cuisine, tantôt une étable, bientôt une église, un fossé, une taverne. Les jeux de lumières de Tomás Ribas parviendront à toujours habiller ce canevas pour enfiler les scènes sans jamais perdre le spectateur.

La saleté entachera de plus en plus les costumes, démontrant l’enlisement de Tom dans un milieu dont il est victime. L’apogée de cet enlisement est atteint dans l’affront : entre tango et lutte, les corps ne s’éloignent que pour mieux se frapper, ne s’entrechoquent que pour mieux s’effleurer. Il y a une justesse dans la corporalité de la mise en scène de Portolla qui hypnotise. D’une pièce au texte très présent, il fait quelque chose d’instinctif, voire bestial. La juxtaposition de ces deux intelligences – celle de Bouchard et celle de Portolla – vient parfois essouffler la pièce, qu’on aurait souhaité plus concise. Peut-être est-ce le contexte d’écoute ou notre familiarité avec le texte qui joue des tours au spectateur qui connait chaque ressort narratif à venir.

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Mais le théâtre est un art qui voyage trop peu hors frontières et il y a quelque chose d’incroyablement beau à voir résonner la parole de Bouchard si loin, si juste. Il y avait quelque chose d’émouvant dans le regard des quatre comédiens lors de l’ovation. Un contexte plus grand que le théâtre sublimait la soirée, donnait des frissons : peut-être était-ce en raison de l’importance qu’y prenait l’universalité.

crédits photos: José Limongi

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