De la danse identitaire

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05.12.2020

Ce que le jour doit à la nuit (2013), chorégraphie d’Hervé Koubi, interprété par la Compagnie Hervé Koubi. Un film de Patrick Lauze (2018), 61 min. Présenté par Danse Danse jusqu’au 9 décembre en webdiffusion continue.

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Dans Ce que le jour doit à la nuit, il n’y a plus le corps, mais les corps. Et sans doute même, des corps. La distinction sémantique importe, tant la danse tente de récréer une communauté hybride autour de traits partagés, à partir de ses divisions. Comment vit-on dans les villes, agglomérés dans un réseau d’échanges compétitifs et concurrentiels, dès lors qu’il faut s’inventer des repères, se démarquer et affirmer des potentialités occultées ?

Hervé Koubi propose une pièce où la mixité culturelle de la danse se pare de couleurs algériennes. Il y a une dizaine d’années, le chorégraphe français se tournait vers les danseurs de l’Afrique, ayant appris l’origine algérienne de ses ancêtres que lui avaient cachée ses parents. Dans cette pièce, qu’il présente comme « une histoire personnelle », créée il y a sept ans, il a choisi d’affirmer le triomphe de la civilisation, celle de ses aïeux, par le corps. C’est ainsi que se décline la chorégraphie Ce que le jour doit à la nuit, au titre emblématique, emprunté à l’écrivain Yasmina Khadra.

Cie Koubi - Ce que le jour doit à la nuit - Argentat 31 mai 2018

« Parfois, au beau milieu du charivari, débarquaient les Karcabo, une troupe de Noirs bardés d’amulettes, qui dansaient comme des dieux en écarquillant des yeux laiteux. On les entendait de loin claquer leurs castagnettes métalliques et rouler leur tambour dans un raffut endiablé. » Ainsi Khadra décrit-il, en 2008, le tohu-bohu vertigineux des danseurs au milieu des Arabes et Berbères de son roman, soulignant la présence d’un danseur particulièrement charismatique et respecté. C’est à une telle scène d’admiration que Koubi semble nous faire assister, avec sa chorégraphie pour onze danseurs algériens, accompagnés de l’impressionnant Issa Sanou, originaire du Burkina Faso.

Métissage culturel

Ce n’est pas d’aujourd’hui que le corps au cinéma, au théâtre, en danse, alterne entre libération et discipline pour circonvenir l’imaginaire du public contemporain. Quitte à se dépasser, se contorsionner, s’électriser et se transporter follement de la danse urbaine à la danse scénique, qui est un autre monde que la rue, ce corps professionnel doit encore séduire et s’érotiser, se parer de mystère et de brio pour se fondre à nouveau dans la ville, où tous les corps se toisent anonymement. C’est très exigeant, car, à cette danse, on demande d’épuiser dans l’exploit nos désirs insensés de jouissance et de beauté.

Ainsi Koubi livre-t-il douze danseurs de rue, de hip hop, acrobates, artistes autodidactes et contemporains, experts de traditions ancestrales et modernes ou postmodernes, pour animer une scène de grande énergie, imprégnée d’amour et de dépense. Dans son ballet, on trouve de la musique et du silence, de la force physique et de la méditation soufie, des mouvements réglés, des techniques de sport et de combat, des battles. Tout y est un peu égal.

Impulsions contrôlées

Ces corps magnifiques, surentrainés, furieusement vivants, nous font signe d’un pays imaginaire, avec des techniques de danses urbaines éprouvées. Ils dansent sur la tête, repliés, roulant au sol, bondissants, envolés, en ronde, avec détermination et droiture. Ils s’élancent, bras au ciel implorant la grâce divine, sans qu’une orientation paraisse déterminée, avec un cérémonial néanmoins réglé qui a tout de l’acte religieux. Un porter final évoque un sacrifice, une mort, ce corps christique pleuré lors d’un cérémonial mortuaire.

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Une communauté de danseurs se dessine, dont l’esthétique n’est pas sans évoquer les tours rapides et répétés des couples chez Édouard Lock, les danses envoutantes de Sidi Larbi ou encore les enchantements du subcontinent indien d’Akram Kahn. L’influence de Thierry Smits, chorégraphe belge, n’est pas pour rien dans la composition de Koubi, qui a été chez lui interprète.

Danse soufie, hommage à la force et à la virtuosité masculines, hommes pivots, embrassant le sol, figures circulaires déclinant la masculinité collective, passionnée et spirituelle, aux limites d’un athlétisme envahissant, tout cela ancre croyance et pratique cultuelle dans un idéal urbain. Du côté de la musique, même mélange des références, entrecoupé de silences, où se devine, transformé par le oud, l’appel d’un muézin au bord du désert.

Ce que la nuit doit au jour raconte donc la joie universelle de danser, la dépense périlleuse, la puissance des hommes, ce qui les domine dans leurs pliés et de ce qui les fait rêver dans les tours sur soi. L’aspect mystique de ces traditions de danse au sol est souligné par les chœurs de Mozart et le oud de Hamza El Din, jusqu’à ce que des incitations vocales, en souffles projetés, se changent subtilement en cris de guerre, tandis que le bruit des pieds, en cadence, font un chant, un rite, une excitation, bref une déclinaison rythmique et poétique du monde.

Toutefois, ce monde est sans femme, ce que je n’ai pas pu occulter : la mixité de genre est oubliée ou mise entre parenthèses, en suspens, absence qui ne trouve pas de résolution dans l’entrevue accordée en introduction par le chorégraphe et les danseurs Fayçal Hamlat et Issa Sanou, qui nous parlent de cette création (8 minutes). Heureusement, une riche capsule documentaire donne en conclusion la parole à des chorégraphes ayant porté sur les scènes contemporaines des styles issus du street dance, dans des approches pures, hybrides ou métissées. Avec les témoignages de Handy « MonstaPop » Yacinthe, Alexandra « Spicey » Landé, Vladimir « 7Starr » Laurore, Ismaël Mouaraki, Axelle « Ebony » Munezero, Victor Quijada, Sovann Rochon-Prom Tep et Yvon Soglo alias  Crazy Smooth, l’impression d’un monde clos du street dance entre hommes disparaît. (15 minutes).

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crédits photos: Nathalie Sternalski

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