Be Heintzman Hope: faire preuve d’ultraprésence

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Switch (meditations on crying) + Poetics to Activate the Technology of the Body + Nurse Tree. Une co-production Be Heintzman Hope, Danse-Cité, MAI (Montréal, arts interculturels), Parbleux; direction artistique, chorégraphie, performance Switch (meditations on crying), conception sonore : Be Heintzman Hope; performance Nurse Tree : Lucy B., Kaiden Diaz, Bam Truong; conception video : Baco Lepage-Acosta; conception éclairages : Nien Tzu Weng; conception costumes : Alice Lepage-Acosta; guides sonores : Sasha Lang, Tomas Furey; soutien à la conception sonore : Carmen Colas; dramaturgie : Néné Myriam-Konaté, Clara Furey, Baco Lepage-Acosta, Nada Khashaba, Dhalia Li, Maxine Segalowitz, K.G. Guttman, Carol Prieur; consultation astrologique : Malek Robanna; images et vidéos promotionnelles : Kinga Michalska, Baco Lepage-Acosta.

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L’expérience vécue pendant le parcours de l’œuvre Switch (meditations on crying) + Poetics to Activate the Technology of the Body + Nurse Tree est d’une universalité touchante. Porté par l’artiste multidisciplinaire Be Heintzman Hope, ce triptyque présenté au MAI (Montréal, arts interculturels) du 2 au 6 mai dernier est une proposition caractérisée par un regard à la fois acéré et doux porté sur le monde.

Switch (meditations on crying), présenté en ouverture, est une manifestation de la manière dont on peut se transformer sous l’influence de notre subjectivité, mais également par le regard et les attentes provenant de l’extérieur. Le solo crée un entre-deux où se rencontrent nos parts d’humanité et d’animalité. Il faut prendre les méditations sur fond de pleurs (qui pourrait aussi être traduit par méditations sur les pleurs) au pied de la lettre, en ce sens que l’on se retrouve, durant le spectacle, légèrement étourdi·e, happé·e dans un monde où les arrangements sonores et les vibrations de voix déclenchent des affect et se centrent sur l’exploration d’une intériorité méditative.

La traversée chorégraphique à laquelle on assiste convoque plusieurs disciplines, qui exploitent le corps selon différentes perspectives, et où les mécanismes émotionnels se dénouent différemment. On peut lire, dans le dossier de présentation, que l’artiste puise dans le répertoire du striptease, de la danse à dix, de la méditation et des arts martiaux intuitifs. Les codes de ces disciplines s’interchangent avec une telle fluidité dans la création que le résultat n’est ni déconcertant, ni surchargé de symboles. L’important n’est pas de reconnaître et de départager à tout prix ces styles, mais au contraire de s’abandonner à ce qu’ils évoquent. Dans son rôle de guide, Be Heintzman Hope nous accompagne, à condition que nous soyons dans un état assez réceptif pour recevoir ce que l’artiste donne avec générosité. 

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De multiples visages

Le personnage qu’incarne Be Heintzman Hope est mouvant et semble inspiré, entre autres, de la figure du fantôme affamé, incarnation présente dans le bouddhisme. C’est d’ailleurs ainsi que le public découvre l’artiste, dans un jeu de lumières à travers lequel apparaît et disparaît d’abord un corps sans visage. Ce dernier entame un processus de transmutation à travers une série de mouvements à la fois ancrés dans la lenteur, dans la désarticulation et dans la sensualité. Ces trois registres se nourrissent les uns les autres, chacun prenant naissance là où le précédent se termine.

Dans ce jeu de transformations, on est bien sûr frappé·e par les extrêmes, soit le côté bestial (traduisant une viscéralité, un désespoir et une rage dans le geste, souvent proche du sol) et le côté séducteur. Deux états qui demandent de pouvoir habiter pleinement son corps. On peut lire beaucoup de choses entre ces deux opposés, au-delà du fait que l’on parcourt la vie en arborant plusieurs visages selon la situation. Mais nous nous transformons pour survivre, semble suggérer la narration implicite à la chorégraphie ; en même temps, ces transformations nous consument.

Entre l’insatisfaction constante d’un côté et les artifices de l’autre, quelle place réelle se laisse-t-on pour réellement être ? Et « être », qu’est-ce ce que cela veut bien dire ? Je ne suis pas certaine qu’on le sache, mais un début de réponse réside dans la douceur qu’arrive tout de même à construire l’artiste à travers des moments où se transmettent à nous le déchirement du personnage, ainsi que sa mutation. La proposition mise beaucoup sur les arrangements sonores (qui passent de tonalité discordante à harmonieuse). Malgré tout, Be Heintzman Hope arrive à intégrer dans sa routine une série de gestes qui semblent provenir du monde naturel, créant alors, contre toute attente, de l’apaisement. La cohabitation des impossibles serait une belle image pour décrire le tout. Et l’interprète arrive à rendre compte de tout cela avec clarté et maîtrise.

La certitude de la souffrance

À la suite de la performance, le public se retrouve dans un second espace où prend place une série de vidéodanses intitulée Poetics to Activate the Technology of the Body, conçue par Baco Lepage-Acosta. « La vie se tient sur les épaules de la mort et se transmet de génération en génération » : c’est que je retiens de l’une des installations mettant en scène un couple discutant dans un bain à propos de la mort, de la renaissance, de la souffrance inévitable, du cycle de la vie et de l’espoir.

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Quant à Nurse Tree, il s’agit d’une installation performative dans laquelle trois travailleurs·euses du corps offrent des soins (comme un massage) à la vue des personnes déambulant parmi les autres œuvres. C’est un choix audacieux et sensible d’offrir, à même une création, un espace où il est possible pour le public de se déposer dans d’autres formes créatives. Il s’agit d’une invitation à rester connecté à soi, aux œuvres abordées et aux autres (des rencontres étaient d’ailleurs rendues possibles par l’aménagement d’une alcôve prévue à cet effet au centre de la grande salle). Chacune des facettes de cette œuvre pouvant vivre et évoluer individuellement, choisir de les mettre ensemble révèle une autre façon d’expérimenter les arts vivants, soit en communion, en pleine présence, dans une logique éloignée de celles régissant la consommation, éphémère et facilement oublié.

Kinga Michalska, Baco Lepage-Acosta.

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