Avant les rues, ou le premier battement de tambour

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22.04.2016

Chloé Leriche, Avant les rues, Les Films de l’autre, 2016, 95 min.

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Au moment même où de troublantes vagues de suicides chez des jeunes de diverses communautés autochtones font les manchettes, la sortie en salle d’Avant les rues, le premier long métrage de Chloé Leriche nous propose une vision intimiste de cet enjeu dans le contexte de Manawan, une communauté atikamekw de la région de Lanaudière.

Première fiction réalisée en langue atikamekw, Avant les rues nous plonge au cœur d’un drame qui secoue la vie d’un jeune Atikamekw prénommé Shawnouk, brillamment interprété par Rykko Bellemare. Celui-ci se retrouve entraîné par un Québécois (Martin Dubreuil) dans une histoire de vol à domicile qui se termine accidentellement par un homicide. Secoué par les événements, Shawnouk s’enfuit, d’abord en se réfugiant dans le bois et, ensuite, en faisant une tentative de suicide.

Par chance, il rencontrera une ainée qui l’encouragera à renouer avec sa culture traditionnelle atikamekw afin de se libérer de son geste. Shawnouk fait un retour symbolique à la vie avant les rues, ou, plus précisément au «Tewahican epwamoci meskanawa», au «tambour qui était avant les rues», comme le signale le titre du film en atikamekw. C’est ce retour au tambour, comme premier battement de la vie et comme symbole de la culture, qui permettra à Shawnouk de se guérir.

 

La vie au cœur du territoire

L’appel à la vie avant les rues se déploie à travers divers choix cinématographiques. Le territoire, au cœur de cet univers, se présente comme des lieux que les non-Autochtones connaissent bien — des chemins en terre battue aux abords de la communauté, des carrières de sable, des chemins forestiers ornés de minces lisières d’arbres qui cachent des coupes à grande échelle, des paysages enlevants de lacs bordés de montagnes. Mais, dans ce retour à la culture, le territoire revêt une dimension sacrée intimement liée à la vie atikamekw : c’est au cœur de la forêt qu’a lieu la cérémonie de purification, le cercle de guérison, le passage dans une hutte de sudation, le tambour et le chant.

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Traduction, réappropriation, décolonisation

Avant les rues s’adresse à plus d’une communauté de réception. Les dialogues, majoritairement en atikamekw, recèlent des nuances réservées à ceux qui comprennent la langue. Par exemple, les acteurs proviennent des trois communautés atikamekw (Manawan, Wemotaci et Obedjiwan) dont chacune possède son propre dialecte. De la même manière, le langage des ainés côtoient celui des jeunes qui tissent parfois l’atikamekw avec le français québécois. Ces variations langagières échappent peut-être au public québécois ou international, mais grâce aux sous-titres, on est néanmoins interpelé par le réalisme des dialogues.

D’ailleurs, la traduction est la pierre angulaire de ce film qui relève d’une éthique de la décolonisation. Forte de son expérience au sein du projet de la Wapikoni mobile, Chloé Leriche a tenté de produire un film avec les Atikamekw. Ayant déjà écrit un scénario en français, Leriche a remis les dialogues aux comédiens, non-professionnels pour la plupart, invitant ces derniers à traduire leurs répliques et à improviser les scènes à leur guise. Cette volonté de collectivisation du texte avec les comédiens a permis à ces derniers de donner leur propre vision de leurs personnages.

C’est au moment du montage que Leriche a constaté toutes les nuances qui avaient été ajoutées aux dialogues, des nuances qu’elle a ensuite cherché à relever, comme elle l’explique dans une entrevue qu’elle m’a accordée pour la revue Trahir. Les sous-titres français ne sont donc pas tirés du texte de départ de Leriche, mais bien le fruit de l’improvisation des scènes en atikamekw. La réappropriation de l’interprétation des dialogues par les acteurs s’avère être le facteur clé d’une méthodologie décolonisatrice qui ne cherche pas à fétichiser des éléments culturels ou à surdramatiser des problématiques sociales.

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Drame de l’événement, mais surtout du quotidien, la portée politique d’Avant les rues est une force tranquille qui ne compte pas sur le spectaculaire pour ébranler le public. Plutôt, on se reconnait dans le personnage de Shawnouk, dans sa quête de soi, dans son sentiment d’être pris au piège, son besoin d’expiation et surtout, son amour pour ses proches. Tel un instantané d’une nation en mutation où les jeunes jouent un rôle central, le film est cru, mais demeure empreint d’espoir.

Alors que dans les médias on assiste actuellement à une nouvelle mouture de discours paternalistes avec des solutions toutes faites pour régler les problèmes sociaux dans les réserves, Avant les rues invite les non-Autochtones à revoir leurs notions préconçues en offrant une autre voie, celle de la guérison par la culture traditionnelle ancrée dans le territoire. À la suite de Mesnak, Le dep ou encore Standstill, Avant les rues s’inscrit dans un répertoire grandissant de films qui, espérons-le, sauront tisser des liens entre Autochtones et non-Autochtones et qui mèneront à une meilleure reconnaissance de la différence.

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